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Paul ARIES - Site Officiel
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22 septembre 2013

Résoudre la question du chômage

 

Résoudre la question du chômage

Editorial Le Sarkophage de mai 2013

 

Le capitalisme a toujours aimé disposer d’une armée de réserve pour opposer chômeurs et salariés et mieux exploiter ceux qui « ont la chance » de trimer. La mondialisation en mettant les peuples en concurrence tandis que la petite caste au pouvoir s’entend sur ses propres rémunérations (qui ne doivent rien à la loi de l’offre et de la demande mais tout aux Comités de rémunérations des firmes) a permis au capital de paupériser les salariés et de créer artificiellement un chômage de masse mondial. Ce ne sont pas les appauvris du Sud qui volent les emplois des appauvris du Nord puisque le chômage concerne d’abord les peuples de la périphérie. Réfléchir autrement à la question du travail est urgent au moment où, selon les pays, plus d’un jeune sur deux ou un jeune sur quatre est sans emploi. Nous ne nous opposerons à cette victoire du capital qu’en organisant une nouvelle réduction du temps de travail (« travailler moins pour travailler tous »). Nous devons, pour cela, regagner préalablement la bataille des idées dans trois grands domaines : il n’est pas vrai que les Français travaillent peu… Les statistiques officielles sont trompeuses : on répète que les Français seraient, avec les Finlandais, ceux qui travailleraient le moins annuellement de toute l’Europe, mais ces chiffres sont obtenus en enlevant des calculs ceux qui travaillent à temps partiel, alors qu’une majorité d’entre nous subissent cette situation. Si on intègre le travail partiel choisi ou subi, les Français travaillent 36,5 heures hebdomadaires, les Allemands 33 et les Etats-uniens 31 heures… Deuxième idée fausse : les 35 heures auraient été la plus grande réduction de l’Histoire. Passons déjà sur le fait que Martine Aubry étant opposée à cette réforme (voulue par DSK), elle fut réalisée dans les pires conditions (en favorisant la dérégulation du travail sous couvert d’annualisation, en supprimant le temps de pause dans le calcul, en embauchant pas notamment dans les hôpitaux, etc). Cette période ouverte par la loi sur les 35 heures ne constitue pas, au regard de la longue histoire, celle de la plus grande réduction mais de la plus petite. Cette loi a mis fin au processus de réduction du temps de travail qui fut plus massif au cours du dernier siècle. Troisième erreur classique : la droite et la gauche productiviste partagent le même mensonge qui est de faire croire que la réduction du temps de travail serait le fruit de l’industrialisation : béni seraient donc le machinisme et les gains de productivité ! Non seulement le temps de travail moyen était beaucoup plus faible au Moyen-âge qu’après la révolution industrielle avec plus d’un jour sur trois non travaillé, mais les conflits pour la réduction du temps de travail existaient déjà dés le XIVe siècle. Les historiens ont établi que les luttes au sein des Corporations du Moyen-âge portaient principalement sur cette question du temps de travail, conflits entre maitres et avec les salariés. Le grand débat social de l’époque était déjà de définir la durée normale d’une journée de travail, puisque le paiement des salaires se faisait alors à la journée. Le Livre des Métiers écrit, en 1268, par Etienne Boileau énumère ainsi la durée du temps de travail maximal pour une centaine de métiers des plus importants. Non seulement des amendes sont prévues en cas de dépassement, mais l’usage de la cloche associé à celui du sablier puis des horloges est fermement établi. Des milliers de conflits ont ainsi été recensés. Le Maire de Provens suscitera une émeute au cours de laquelle il sera tué pour avoir reculé la cloche. Le Parlement de Paris précisera que la cloche doit tenir compte du temps de déplacement pour permettre aux ouvriers de rentrer chez eux avant la tombée de la nuit, signe que le temps de trajet est pris en compte dans le calcul du temps de travail. Au XVIe siècle, la journée de travail dans les Mines est limitée à huit heures et même parfois à six heures... C’est la révolution industrielle qui va provoquer l’augmentation de la durée du travail, même si les conflits autour de cette question restent nombreux. Sous l’Empire les relieurs entrent en lutte pour passer de 12 heures à 10 heures de travail quotidien, tandis que les tailleurs de pierre de Paris revendiquent 12 heures l’été et 10 l’hiver. Une des principales formes d’auto-réduction de la durée du travail sera le mouvement connu sous le nom de la « Saint Lundi »… mouvement qui concernera presque toute l’Europe et qui pratiquera des auto-réductions au-delà de la seule journée du lundi. Vers 1730, les imprimeurs lyonnais commençaient leur semaine de travail le jeudi, tandis que les artisans de Paris chômaient le lundi et un mardi sur deux… Cette coutume de chômer au moins le lundi est si importante qu’elle est considérée comme un des grands fléaux sociaux et moraux par les milieux d’affaires mais aussi par l’église catholique. Le pire à leurs yeux n’est pas que les ouvriers fassent la fête mais qu’ils profitent de ce jour pour faire de la politique ! Il faudra attendre la fin du XIXe siècle et donc la seconde révolution industrielle pour voir décliner la coutume du « Saint-Lundi »,  mise à mort rendue possible par la défaite de la Commune de Paris. La lutte pour « la journée de huit heures » lancée par la CGT dès 1880 permettra cependant très vite de renouer avec ce combat des prolétaires. Ce combat est toujours le nôtre même s’il doit être pensé dans des conditions totalement nouvelles. Nous ne partons cependant pas de rien pour nourrir le débat. Souvenons déjà du succès en 1979 de l’ouvrage « Travailler deux heures par jour » écrit par un collectif dénommé ADRET. Ce texte est particulièrement intéressant, car il intègre ce que pourrait être une bonne planification écologique. L’objectif de travailler 2 heures par jour est fondé sur la « réduction volontaire de la production » (sic), décision indispensable à l’émergence d’une société différente, refusant les gaspillages et l’obsolescence programmée. Voilà du travail sur la planche pour donner du corps à la « Règle verte » actuellement en débat au sein du Front de gauche et bien au-delà ! L’intelligence de l’ADRET était de définir ce « travail lié » comme le temps de travail incompressible pour maintenir la production panifiée. Il y a urgence à reprendre les calculs. Combien de production donc de travail nécessaires? En attendant que les citoyens s’emparent de ce débat, imposant le retour à la retraite à 60 ans avec 37 annuités et demi, au prix d’une réduction des hautes retraites, imposons la semaine des 32 heures, imposons la limitation des stages en entreprise (il n’y a pas si longtemps, ils n’existaient pas même dans les lycées techniques, les CET…des années soixante-dix), interdisons les stages non rémunérés au tarif des salariés, comme cela se pratique aux Etats-Unis. Nous ne manquons décidemment pas d’idées. Osons simplement les défendre en ces temps maussades ! 

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22 septembre 2013

La gauche productiviste, c’est le stalinisme

La gauche productiviste, c’est le stalinisme

Pour un véritable Front de gauche antiproductiviste…

Paru dans le sarkophage de mars 2013

 

Ce texte de Paul Ariès est le premier d’une série sur le productivisme et l’antiproductivisme de gauche depuis deux siècles. A l’heure où tant de forces à gauche sont ballotées entre un antiproductivisme affiché et une simple référence à l’écologie, le rôle de la Vie est à nous ! est de contribuer au débat. 

 

Si les gauches ont été majoritairement productivistes au cours du 20e siècle, à l’exception notable de nos compagnons libertaires, le caveau des utopies antiproductivistes est pourtant bien plein. Je porterai d’abord le fer au point le plus sensible pour rappeler que l’effacement des gauches antiproductivistes au 20e siècle fut la conséquence, non pas tant de la victoire d’une vision déterministe de l’histoire ou de celle de l’idéologie du progrès que celle de la social-démocratie allemande à la fin du 19e siècle (sévèrement dénoncée par Marx dans sa critique du programme de Gotha) et celle du stalinisme tuant toutes les possibilités d’expérimentations. La gauche du 19e siècle était beaucoup  moins productiviste qu’elle ne le fut au 20e siècle et qu’elle ne le reste encore aujourd’hui. Le productivisme n’est pas une maladie infantile de la gauche mais le résultat du pouvoir en son sein d’une oligarchie. L’histoire de l’Union Soviétique est la meilleure preuve que ce sont ceux qui ont toujours eu peur des membres du parti et du peuple qui imposèrent le productivisme à gauche.

Les staliniens ont purgé notre mémoire collective au point de nous faire oublier ce que furent les expérimentations de la jeune Russie soviétique en matière de changement de modes de vie, en matière d’architecture, d’urbanisme, d’art, de liberté sexuelle. Ce sont les mêmes staliniens qui applaudirent au taylorisme et aux  inégalités salariales et qui interdirent les nouveaux modes de vie. L’objectif des dirigeants de la jeune révolution était en effet double : reconstruire l’économie détruite par la guerre mais aussi, et tout autant, inventer de nouveaux modes de vie sans quoi le socialisme ne serait qu’une nouvelle forme de technocratie. La terreur stalinienne fut donc foncièrement une contre-révolution productiviste, une contre-révolution bureaucratique et « économiciste » qui culminera dans la recherche du dépassement du niveau de vie américain, faute de penser d’autres genres de vie. Cette thèse se vérifie sur le plan économique, politique, artistique.

 

Le domaine économique était celui où les dirigeants bolchéviques étaient déjà le plus empêtrés dans « l’économisme » et l’étatisation. Il n’en reste pas moins qu’un débat existait et que des initiatives furent prises pour permettre des expérimentations dans le cadre de ce qu’aurait pu être un socialisme des conseils. Les dirigeants bolchéviques mirent d’abord en cause l’inégalité sociale et même l’existence du salaire et d’une économie marchande. Ce n’est qu’avec la NEP (1921-1929) et le stalinisme que la révolution russe choisit délibérément le productivisme et l’accumulation dans le cadre d’un véritable capitalisme d’Etat. C’est durant cette période que l’Union soviétique rétablira le salaire aux pièces au nom des gains de productivité et du contrôle des masses. C’est aussi durant la même période que l’Union soviétique abandonnera toute tentative d’instaurer une « économie en nature », jusqu’alors son objectif immédiat, selon les thèses notamment de Boukharine et de Préobrajensky, et choisira  de rétablir l’économie marchande au profit de la nomenklatura : « l’échange sans argent est ainsi graduellement introduit. L’argent sera de ce fait écarté du domaine de l’économie populaire. Même à l’égard des paysans, l’argent perd lentement de sa valeur et le troc le remplace… » (Boukharine et Préobrajensky, L’ABC du communisme, 1919). Le programme d’abolition de la monnaie du circuit économique, officiellement élaboré par le VIIIe congrès du parti en 1919, visait à la destruction totale de la société capitaliste et à l’instauration du socialisme. Le salaire en nature était considéré comme la garantie de l’existence du peuple… à tel point que la rémunération sous forme de prestations en nature qui ne constituait en 1917 que 5,3 % de la valeur du salaire global moyen d’un ouvrier industriel atteignit 47,4 % en 1918, 80 % en 1919, 93,1 % en 1920 et 93,8 % début 1921 (Jovan Pavlevski, le niveau de vie en URSS). La NEP aboutit à rejeter la notion même d’égalisation des salaires, ce qui provoqua d’abord la colère du mouvement syndical encore rebelle mais on peut lire dans le rapport du Conseil central des syndicats de l’URSS de 1932 que c’est grâce au « camarade Staline » que les syndicats ont commencé à anéantir le vieux système de l’égalitarisme petit-bourgeois : « le nivellement dans les besoins et la vie privée est une stupidité petite-bourgeoise réactionnaire, digne de quelque secte primitive d’ascètes, mais non point d’une société socialiste organisée d’une façon marxiste, car l’on ne peut exiger des hommes qu’ils aient tous les mêmes besoins et les mêmes goûts, que, dans la vie personnelle, ils adoptent un standard unique ». Le même Staline ajoutait que « la conséquence de l’égalisation des salaires est que l’ouvrier non qualifié manque d’une incitation à devenir un travailleur qualifié et se trouve ainsi privé de perspectives d’avancement (in Problèmes du léninisme). La Constitution russe de 1936 posera logiquement le principe « A chacun selon son travail » (Art 14) en place du vieux principe communiste « A chacun selon ses besoins ». Le stalinisme supprimera en 1928 toute idée de salaire de base garanti. Il généralisera le taylorisme déjà applaudi par Lénine qui en faisant une étape vers le communisme. Faut-il rappeler qu’au même moment une autre gauche inspirée notamment par Durkheim dénonçait les « formes anormales de la division du travail » et que Simone Weil expliquait, dans La condition ouvrière, que Taylor ne cherchait pas une méthode pour rationaliser le travail et le rendre plus efficace mais un simple  moyen de contrôle vis-à-vis des ouvriers ? (in Bruno Trentin, La cité du travail, la fordisme et la gauche, Fayard, 2012). C’est donc aussi avant tout pour des raisons politiques et par peur des masses et de la lutte des classes que le mouvement communiste choisit l’industrialisation lourde, l’accumulation sans fin, la division sociale… La bureaucratie stalinienne imposera cette vision à l’ensemble des communistes y compris en France et ce pour des dizaines d’années. Face aux militants syndicalistes révolutionnaires et anarchistes rétifs au travail à la chaine, au salaire au rendement, le courant communiste clame « Dire que l’on est contre le travail à la chaine me fait penser à quelqu’un qui dirait qu’il est contre la pluie (…) Nous sommes pour les principes de l’organisation scientifique du travail, y compris le travail à la chaine et les normes de production (Congrès CGTU de la métallurgie, 1937). C’est aussi à la même époque que le mouvement stalinien commencera à puiser systématiquement dans le vieux fond de la doctrine sociale chrétienne pour défendre l’idée de la valeur et de la dignité du travail et retournera contre les prolos le vieux adage anti-bourgeois « qui ne travaille pas ne mange pas ». Faut-il rappeler que la gauche communiste française enverra à la libération ses ingénieurs se former aux Etats-Unis au fordisme ?

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la même politique est conduite en faveur d’un  modèle de croissance axé sur l’accumulation. Ce n’est qu’en 1956, lors du XXe congrès du PCUS et du fameux rapport Khrouchtchev sur les crimes staliniens que les nouveaux dirigeants estimèrent que les objectifs économiques étaient déjà atteints et qu’il fallait assouplir le « principe socialiste de rémunération « à chacun selon son travail » afin de s’occuper davantage de la population défavorisée. La déstalinisation verra aussi le rétablissement du salaire minimum garanti. On pressent donc combien le lien entre productivisme et stalinisme est profond, combien le lien entre accumulation et domination est consubstantiel. La déstalinisation sera d’abord la fin du discours sur les générations sacrifiées et permettra d’améliorer le sort de 16 % de la main d’œuvre qui verra son salaire augmenter d’un bon tiers (J. Pavlevski). La chute de Khrouchtchev permettra à la bureaucratie de reprendre la main et de poursuivre son combat contre le nivellement des salaires au nom d’une accumulation du capital et de lendemains qui chanteraient. On lit ainsi dans le programme du Comité Central du PCUS, adopté lors du 50e anniversaire de la révolution d’octobre : « Tout nivellement dans la distribution des salaires aurait supprimé l’intérêt des travailleurs aux fruits de leur labeur, ainsi que leur désir d’élever leur niveau professionnel et culturel. C’est l’intéressement, qui, dans le régime socialiste, stimule chez les individus le désir d’élever la productivité et de développer leurs aptitudes et leurs talents. ».

 

L’enjeu est donc de nier la possibilité d’inventer de nouveaux modes de vie, d’empêcher les milieux populaires de déployer leur créativité (ne serait-ce que par la remise en cause de la division du travail). Le choix du productivisme est bien celui de la défense d’une nouvelle classe sociale, la bureaucratie, celui du stalinisme. Cette lutte des classes menée par la bourgeoisie rouge contre le peuple déborde largement le seul terrain de l’économie. Le Stalinisme l’emporte en même temps dans le champ économique, social, culturel, politique, en battant notamment en brèche toute idée d’une « reconstruction des modes de vie » de type communiste. Face aux expériences en matière d’amour libre, Zalkind, psychologue officiel, explique que l’homme possède une certaine somme d’énergie vitale et que toute parcelle de ce précieux influx consacrée à la vie sexuelle serait perdue pour l’édification socialiste. Il fera même de l’abstinence, contrairement au freudo-marxisme, une caractéristique de l’homme socialiste. Face à Alexandra Kollontaï, égérie communiste féministe russe, qui souhaite une mutation rapide des structures familiales, Semachko, le premier Commissaire au peuple à la santé, s’inquiète des conséquences des nouvelles libertés individuelles… Face aux « désurbanistes » comme Ohitovitch qui voulaient en finir avec l’urbanisation ou aux « urbanistes » comme Sabsovitch qui cherchaient différemment de nouveaux modes de vie, le stalinisme répondra que la ville socialiste existe déjà… Face aux partisans d’un « art de gauche », conçu comme un instrument de libération et qui souhaitaient non seulement démocratiser la culture mais procéder à son appropriation collective, à l’image de la révolution, des moyens de production et de la science… Staline censurera et parlera d’art « gauchiste » et « petit-bourgeois » (sic). On pourrait continuer pendant des heures à montrer que c’est dans un laps de temps très court que le stalinisme va interdire toute expérimentation sociale au nom du productivisme/économisme. Les autres dirigeants bolchéviques tenteront de résister aux menaces que le stalinisme faisait peser sur ces expérimentations. Trotski publiera ainsi en 1923 une série d’articles sur la nécessité de défendre et promouvoir ces « nouveaux modes de vie », Kroupskaïa (veuve de Lénine), pourtant fort timide dans ce domaine, consacrera une série d’articles entre 1922 et 1930 à expliquer que « le socialisme n’est pas qu’un système économique ». Anatole Kopp note que Staline fera disparaitre des bibliothèques et centres d’archives tout ce qui concerne les expériences en matière de modes de vie alternatifs, particulièrement les récits traitant des communes « libertaires ». Aussi, alors que l’URSS préstalinienne était au cœur des recherches pionnières sur l’écologie comme l’atteste l’invention en 1925 du concept de Biosphère introduit par Vladimir Vernadsky (1863-1945), le père de la science soviétique, le stalinisme marquera la glaciation de toute pensée, ce qui autorise John Bellamy Foster a parler de « trou noir » avec/après le stalinisme : « le stalinisme purgera littéralement le commandement et la communauté scientifique soviétique de ses éléments les plus écologiques –ce qui n’avait rien d’arbitraire, puisque c’est dans ces cercles que se trouvait une part de la résistance à l’accumulation primitive socialiste » (Marx écologiste, Amsterdam, p. 25). Boukharine et Vavilov seront, selon lui, les deux grands symboles de cette défaite de la pensée écologiste/antiproductiviste soviétique. Bellamy note que le marxisme de l’Ouest ne résistera pas mieux en devenant un positivisme concevant une histoire humaine isolée de la nature. La seule exception majeure serait le marxisme britannique et notamment Christopher Caudwell.

 

 

Cette victoire du productivisme et cette condamnation des expérimentations sont liées à la thèse de Staline de 1924 sur la possibilité d’édifier « le socialisme dans un seul pays », à la prise du pouvoir par la bureaucratie qui a fait de l’Etat et du parti sa propriété privée et à la liquidation systématique des opposants. Le Comité central du PCUS pouvait déclarer dès 1930 que toutes ces expérimentations étaient désormais inutiles puisque le mode de vie « socialiste » était déjà là, que le « socialisme » était déjà réalisé : «  Actuellement, certains conjuguent à tous les temps la formule « nous devons construire la cité socialiste ». Ceux qui disent cela oublient un « détail », c’est que du point de vue social et politique, les villes de l’URSS sont déjà des villes socialistes. ». Le stalinisme liquidera en même temps les avant-gardes dans tous les secteurs, économiques, politiques, artistiques (constructivisme, futurisme). Le procureur stalinien Vychinski traitera ces « gauchistes » de « clowns et de pygmées (…) d’aventuriers qui ont essayé de piétiner de leurs pieds boueux les fleurs les plus odorantes de notre jardin socialiste » avant de conclure « il faut fusiller ces chiens enragés ». Exit les expérimentations et l’antiproductivisme ! Vive l’accumulation du capital ! La bureaucratie n’a qu’un ennemi : les masses et donc tout ce qui peut favoriser les liens sociaux forts et la créativité populaire. Aux expérimentations libres allaient succéder le « basic communiste » et le suicide de Maïakovski dont le crime fut de rêver un monde autre. Anatole Kopp s’interrogeait en 1975 : certes toutes ces expérimentations passaient par un certain ascétisme dans la vie quotidienne mais « cet ascétisme aurait-il été plus contraignant que celui imposé pendant des décennies aux familles soviétiques entassées, bureaucratie oblige, dans des appartements non conçus à cet usage ? ».Cet ascétisme anti-productiviste passait, lui, par une simplification du mode de vie au niveau de l’habitat, par une transformation des objets quotidiens et même des vêtements. Ainsi les constructions légères proposées par les « désurbanistes » auraient-elles été préférables à la crise du logement généralisée. Anatole Kopp avance en creux la vraie raison de ce refus des nouveaux modes de vie, de ce choix du productivisme étatique : « Le « désurbanisme » pouvait être mis graduellement en pratique car il constituait, avant d’être une solution architecturale, une stratégie de développement non centralisée, non bureaucratique, à l’ « échelle humaine ». »(p. 352-353). Telle aurait pu être en effet l’autre voie, un socialisme démocratique, un socialisme éloigné de tous les chemins de l’économie classique, du productivisme : « Que sont devenus Sabsovith Okhitovitch, Larine, tous les économistes, tous les sociologues du premier plan quinquennal ? Combien d’entre eux ont descendu l’escalier de la Lioubianka et reçurent une balle dans la nuque pour avoir voulu changer la vie ? ».

 

22 septembre 2013

Entretien avec Jean-Luc Mélenchon, le sarkophage

Entretien Jean-Luc Mélenchon et Paul Ariès

autour de la règle verte (pour l’éco-socialisme)

La parution de ton livre La règle verte (Pour l’éco-socialisme) est un événement politique et théorique dont on ne prendra clairement conscience que sur le long terme. Il devrait faire taire ceux qui te soupçonnent d’être un faux écologiste, un croissanciste honteux. Cet ouvrage et l’organisation des premières assises de l’éco-socialisme par le Parti de gauche en décembre 2012 témoignent que ces débats  ne sont plus désormais marginaux. Ton livre est aussi une invitation à poursuivre le débat et à construire de nouveaux concepts.

 

Question : Lors de la campagne présidentielle, La Vie est à nous !/le sarkophage a relayé l’appel de Paul Ariès et Jacques Testart « Pour un Front de gauche antiproductiviste et objecteur de croissance »…Comment cet appel a-t-il été perçu au sein du Front de Gauche ?

De nombreux écologistes étaient déjà convaincus par le programme du Front de Gauche. Mais cet appel a été un révélateur et un catalyseur. Il a rendu compte d’une convergence inattendue. Il a prouvé qu’un dialogue exigeant pouvait aboutir sur un point d’accord. Ce qui était spectaculaire c’était que des courants partant de si loin l’un de l’autre puissent se retrouver sur un bout de chemin commun. C’était une audace politique très forte des auteurs dans cette  mouvance écologiste et antiproductiviste

L'appel mettait en avant quatre thèmes liant les questions sociales et environnementales : sortir de l'appauvrissement des peuples, construire une société post-extractiviste, sortir du capitalisme et construire une société du bien vivre. Ces quatre thèmes sont toujours centraux qui veut le progrès humain.

Question : Apparue pendant la campagne, ta proposition de « règle verte », place volontairement la barre très haut, comme principe constitutionnel s’opposant à la règle d’or libérale. Peux-tu revenir sur tes motivations et les conséquences de cette règle verte ?

J'ai avancé cette idée de règle verte pour la première fois à Clermont-Ferrand le 14 mars puis quatre jours plus tard à la Bastille. A ce moment de la campagne, nous combattions la règle d'or que Nicolas Sarkozy venait de graver dans le traité européen. Cette règle d'or nous posait une question fondamentale : pourquoi et pour qui veut-on gouverner ? Avec quel horizon ? Nicolas Sarkozy proposait un horizon d'austérité pour plaire aux marchés financiers. Nous devions tracer un horizon de progrès humain. Et le 1er enjeu pour l'humanité aujourd'hui est préserver l'écosystème qui rend la vie humaine possible sur la planète. Voici comment est née l’idée de centraliser la "règle verte". Mon idée était aussi de l’ordre de la cohérence doctrinale. Je ne voulais pas d’une planification écologique sans fil conducteur, soumise aux aléas du moment où se prennent les décisions, ou bien aux lubies des prescripteurs d’ordre. En ce sens la règle d’or est aussi un repère objectif qui nous met à l’abri des injonctions subjectives. Ainsi la rège verte protège la liberté.

C’est donc un fil conducteur dans la conduite de la planification écologique. Concrètement il s'agit de produire en soldant la dette écologique. C'est-à-dire de ne pas consommer plus de ressources que l'écosystème ne peut en reproduire sur une période équivalente, ni de rejeter plus de déchets qu'il ne peut en absorber. Autour de ce paradigme, nous pouvons repenser l'ensemble du système de production, de consommation et d'échange. C'est effectivement une pratique révolutionnaire.

Question : nous partageons la même conviction qu’on ne change pas la société en culpabilisant les gens. Mais ne faudrait-il davantage rappeler en quoi notre mode de vie est tributaire de siècles d’esclavagisme, de colonialisme et de néo-colonialisme ?

Le mode de vie actuel des Français, comme de la majorité des habitants de cette planète, est tributaire d'un système qui porte un nom : le capitalisme. Ce système a mis ses pas dans une structure sociale plus ancienne encore, le productivisme. La nuisance intrinsèque du productivisme n’est pas apparu tout de suite. C’est pourquoi le mythe du développement infini des forces productives a eu la vie si longue. L'esclavagisme, le colonialisme et le néo-impérialisme sont les modalités violentes d'expansion de ce système à diverses époques. Si nous voulons changer les choses, c'est le principe même du système d'accumulation productiviste qu'il faut combattre. La repentance est injuste : nous ne sommes pas coupables mais victimes.

Par contre, nous pouvons apprendre de cet adversaire. Le capitalisme sait susciter le désir avec la publicité. Nous devons nous aussi esthétiser les valeurs que nous proposons en alternative. Nous devons donner envie. Voila pourquoi je ne crois pas à l'écologie punitive. Et voilà pourquoi nous proposons une réponse politique nouvelle, concrête et positive avec l'écosocialisme. Pour montrer que le progrès humain reste possible à condition de rompre avec le système actuel. Notre bataille politique est ainsi une bataille culturelle. C'est aussi une des raisons pour lesquelles je parle si souvent d'histoire, d'amour ou de poésie.

Question : Quelles différences fais-tu entre la croissance, avec laquelle tu as pris tes distances lors de la présidentielle et ta relance écologique ? Que penses-tu de la « rilance » (rigueur et relance) ?

Pendant la campagne, j'ai toujours pris soin de parler de "relance de l'activité" et non de la croissance. Le problème de la "croissance", c'est qu'elle repose sur le PIB, un indicateur productiviste qui ne mesure nullement le bien être humain.

Au contraire, notre modèle repose sur une relance des activités socialement utiles et écologiquement responsables. Nous ne visons pas la croissance, nous visons le progrès humain. Par exemple, les activités d'éducation, de santé doivent croître. Et d'autres productions, y compris industrielles, devront également croître pour permettre à tous d'avoir un logement par exemple. Par contre, nous disons que les activités les moins utiles, comme la publicité, et les plus polluantes, comme la production d'énergie, notamment fossiles et nucléaires doivent très fortement et rapidement décroître.

Quant à la "rilance", ce terme a été popularisé par Christine Lagarde, directrice-générale du FMI pour vendre l'austérité avec le sourire. Je suis clairement en désaccord. Nous n'avons rien à gagner à nous engager dans cette voie. Le droit au bonheur, le bien-vivre résument bien mieux notre philosophie.

 

Question : Il existe une écologie des pauvres qui n’a pas toujours conscience d’elle-même et qui surtout n’a pas vraiment le droit de cité en France. Nous avons organisé le Forum mondial de la pauvreté avec Emmaus pour dire que rien ne sera possible si on n’écoute pas les milieux et cultures populaires …Le parti de gauche a-t-il vocation à être l’un des vecteurs essentiels de cette écologie des pauvres ?

Nous avons commencé notre part de ce travail avec le thème de la planification écologique. Pendant la campagne, nous avons réuni des salariés d'une dizaine d'entreprises menacées lors d'un Forum sur l'industrie et la planification écologique. Tous leurs projets alternatifs s'inscrivaient dans une dimension écologique. Bien sûr, il y a encore beaucoup à faire mais les choses avancent de façon formidable. Voyez ces salariés de Fralib qui veulent produire du thé en coopérative à partir des productions locales ! Voyez ces ouvriers de Florange se battre pour réduire les émissions de CO² avec le projet ULCOS ! Ces projets sont concrets. Ils viennent des salariés eux-mêmes. Ils inventent en marchant. Avec ces projets, ils font bien plus pour l'écologie que bien des penseurs des beaux quartiers. La classe ouvrière est la classe d'intérêt général écologique car en elle réside les principaux leviers tant démocratiques que productifs de la transition écologique.

L'autre grand chantier est effectivement celui qui lie la lutte écologique et la lutte pour abolir la précarité et la pauvreté. Là encore, nous avançons. Pour ne prendre qu'un seul exemple, aujourd'hui, tout le monde a compris que la rénovation des bâtiments profitera d'abord à ceux qui ne peuvent plus payer les factures de chauffage. Et là encore, le Parti de Gauche mène ce combat. Nous proposons une tarification progressive de l'électricité, du gaz et de l'eau pour sanctionner le mésusage mais avec une véritable gratuité pour les premières tranches, vitales.

Il y a beaucoup à faire. Nous prenons les sujets les uns après les autres et faisons des propositions radicales mais concrètes. L'alliance entre la lutte pour le partage des richesses, les impératifs écologiques, et j'ajoute l'exigence de la souveraineté populaire, est un déflagrateur qui peut être extrêmement puissant. La Révolution citoyenne que je défends propose de fusionner les trois.

 

Question : Tu as cité largement sur ton Blog Pepe Mujica, le président de l’Uruguay. Pourquoi ?  Que penses-tu de la manière dont l’Amérique du Sud porte un nouveau socialisme du Buen Vivir tant au niveau des mouvements sociaux que des appareils politiques jusqu’au sommet des Etats ?

C'est en Amérique latine que la gauche a commencé à se réinventer. Ils tâtonnent, mais ils agissent. Jean-Marc Ayrault et Michel Sapin méprisent ces gouvernements. Pourtant, il ferait mieux de faire le dixième de ce qu'ils font ! Nous avons beaucoup à apprendre d'eux. C'est vrai en matière de démocratie avec les assemblées constituantes ou le référendum révocatoire. C'est vrai pour ce qui concerne le partage des richesses. C'est aussi vrai en matière écologique. C'est Raphaël Correa en Equateur qui a posé avec force la question de la non-exploitation du pétrole avec le projet Yasuni-ITT. C'est Evo Morales qui a mis en avant la question du tribunal international de justice climatique. Et l'Uruguay de Pepe Mujica veut produire 90% de son électricité grâce aux énergies renouvelables d'ici 2015. C'est autrement plus ambitieux que de fermer une seule centrale nucléaire sur 19 d'ici à 2017 comme le prévoit le gouvernement PS-EELV en France.

 

Question : Le parti de gauche soutient la nécessité d’une planification écologique contre ceux qui pensent qu’il serait possible de résoudre les menaces dans le cadre du système. L’idée de planification n’est-elle pas disqualifiée par le passé ? Comment concilier la liberté individuelle, l’émancipation des personnes avec la loi écologique et l’imposition de l’intérêt général ?

C'est une question fondamentale avec laquelle il ne faut pas biaiser. La planification à la soviétique a échoué faute de démocratie. Pour autant, rejeter l'idée de planification serait stupide. Aujourd'hui, le temps court de la finance domine tout. Nous devons reconquérir la maîtrise du temps long. Le laisser faire conduit au désastre à grande vitesse. Voila pourquoi il faut planifier.

Notre planification écologique sera citoyenne. Les objectifs seront fixés par le peuple, directement ou via ses représentants en fonction de l'intérêt général. Mais cela ne suffit pas. Il faut impliquer à chaque étape les usagers, les salariés, les associations écologistes ou de consommateurs. Enfin, la planification écologique devra nécessairement être centralisée pour ce qui touche aux principes fondamentaux et aux réseaux nationaux. Mais nous sommes partisans d'une planification qui s'adapte à l'échelle des enjeux. Par exemple, vouloir planifier la gestion du cycle de l'eau à une autre échelle qu'un bassin versant n'aurait pas de sens.

Quant à la liberté individuelle, il ne peut être question de mettre en place une police des mœurs écolos. Revenez a ce que j’ai dit de la règle verte ! Au-delà, seule l'éducation est une solution durable et acceptable. En République, on ne peut miser que sur la vertu des citoyens. Et sur la force de la loi. La loi a le droit de fixer des limites, y compris dans la sphère privée, à condition que l'intérêt général soit en jeu. Par exemple, la loi punit l'inceste. Elle interdit aussi l'usage de certains produits toxiques même dans le jardin de votre propriété.

 

Question : Pour satisfaire les besoins sociaux fondamentaux ne faut-il pas interroger la thèse classique sur les faux et les vrais besoins ? Comment éviter toute définition scientifique ou moraliste des besoins légitimes au profit d’une seule définition démocratique ? La planification écologique peut-elle se contenter d’un surcroit de démocratie actuel ? Le rôle des experts ne devrait-il pas être de montrer qu’il existe toujours des alternatives ?

Notre démocratie est malade de la mise en avant permanente du "consensus" au nom de la "seule politique possible". On peut toujours faire autrement ! Et les besoins sont effectivement une construction sociale et culturelle que nous pouvons faire évoluer collectivement. La force de la démocratie, c'est le clivage. Nous avons besoin des experts, et j'ajoute des médias, pour éclairer le débat, présenter les arguments. Mais ils ne doivent pas se substituer au peuple. Celui-ci est le seul souverain. Après avoir confronté les points de vue, le peuple tranche, par son vote, en fonction de ce qu'il croit être l'intérêt général. Cette méthode est imparfaite car la majorité peut toujours se tromper. Il faut l’assumer comme tel. Le vote est un outil de décision collective. Rien de plus.  Il n’institue aucune vérité. Mais voyons plus profondément. Nous devons articuler les espaces d’initiative citoyennes spontanées et inopinées avec des mécanismes institutionnels sans lesquels la volonté générale est impuissante. Un bon exemple est donné avec l’institution d’une procédure de referendum révocatoire d’initiative populaire. Il doit pouvoir s’appliquer à n’importe quel mandat moyennant une certaine quantité de signatures. Plus largement, une fois de plus, il faut agir tous azimuts : refonder l'Education, passer à la 6e République, démocratiser radicalement les médias, protéger les lanceurs d'alerte etc.

Question : La transition énergétique est-elle possible sans transformer nos modes de production et de consommation ? Ne faudrait-il pas repenser les services publics de l’énergie pour favoriser les circuits courts ? Combien défendre la notion d’égalité de service national et la nécessaire relocalisation ?

La lutte contre le réchauffement climatique impose de sortir progressivement des énergies carbonées. Dans le même temps, nous devons sortir du nucléaire qui est une énergie dangereuse et qui pose des problèmes insurmontables, notamment les déchets. Pour autant, nous manquerions à servir le progrès humain si nous proposions de revenir à la bougie. Il nous faut donc ouvrir un autre chemin. Comment ? Plusieurs pistes sont maintenant bien connues : les économies d'énergie, l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables.

Pour cela, et pour réduire les pertes lors du transport d'électricité, il nous faut relocaliser la production d'électricité au plus près des besoins. Or, la situation n'est pas la même partout : en Alsace on peut faire de la géothermie, en Bretagne on peut utiliser les énergies de la mer etc. Donc il faut une organisation territorialisée. Mais dans le même temps, il faut une cohérence d'ensemble et il faut assurer l'égalité d'accès au service public. Car l'accès à l'énergie est un droit, pas un privilège. L'égalité passe par la péréquation tarifaire. La gratuité des premières tranches d'électricité que nous proposons vaudra dans tous le pays. Le pôle public de l'énergie que nous proposons sera donc nécessairement national et local.

 

Question : Face à la désindustrialisation et aux délocalisations, les salariés, leurs organisations et le gouvernement doivent-ils appeler au secours les grands patrons ? Comment porter autrement la reconversion industrielle ?

Les salariés n'appellent pas les grands patrons au secours. Nous pouvons nous passer des patrons pour produire mais eux ne peuvent pas se passer des ouvriers pour le faire. Avec la lamentable capitulation d'Ayrault devant Mittal, les ouvriers savent qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour défendre leurs emplois. Ils font des contre-propositions comme je l'ai dit, avec des projets précis et ambitieux. De plus en plus, ils imaginent de reprendre leurs entreprises en coopératives, sans patrons. Et quand ils appellent à l'aide, ils appellent le plus souvent l'Etat en tant que garant de l'intérêt général. Aujourd'hui, il s'agit d'arrêter le pillage et le saccage du pays. Dans ce combat, les salariés et les syndicats sont en première ligne. Nous les soutenons totalement.

 

Benoit Hamon n’a-t-il pas une partie de la solution économique que cherche Montebourg à travers une véritable économie sociale et solidaire ? Comment lier le recours en vogue de l’idée de nationalisation et celle d’autogestion ? Ne faudrait-il pas inventer un nouveau éco-socialisme municipal ?

Le Parti de Gauche met au cœur de son action ce que l'on appelle les radicalités concrètes. L'écosocialisme n'est pas une théorie abstraite pour harangue de salon. C'est d'abord une méthode pour régler des problèmes concrets. Le meilleur exemple, c'est le retour en régie publique de la gestion de l'eau dans l'agglomération que préside Gabriel Amard, secrétaire national du PG. Elle a permis de retrouver la maîtrise publique d'un bien commun, l'eau, mais aussi de réduire la facture des usagers de 25% et de diminuer les gaspillages. Ailleurs, nos élus et militants poussent aussi pour ces radicalités concrètes. Nous avons publié un premier Abécédaire des radicalités concrètes avec la ferme intention de proposer toutes ces idées dans le débat des élections municipales de l'an prochain.

Question : Que penses-tu des concepts de « buen vivir », d’anti-extractivisme et de pachamamisme que nous offrent les pays du sud ? Comment les décliner ici, et conformément à nos valeurs républicaines, humanistes et de laïcité ? Plus largement nos outils théoriques anciens sont-ils suffisants ?

Nous faisons face à des défis d'un genre nouveau, en particulier les défis écologiques. Nous devons inventer les réponses. Donc aussi le vocabulaire. C'est ce que nous avons fait avec la "planification écologique", la "règle verte" et maintenant en reprenant l'idée d'"éco-socialisme". L'exigence de "bien-vivre" et la critique de "l'extractivisme" entrent dans ce cadre. Pour autant, l'écologie n'efface pas la pertinence des idées et du vocabulaire du socialisme républicain. Au contraire, elle les refonde puissamment, en particulier l'idée qu'il existe un intérêt général, en l'occurrence, commun à l'humanité tout entière.

Cet intérêt général ne peut être que humain. Car il ne tombe pas du ciel. Il ne peut être défini que par la raison, qui est le propre des êtres humains. Cela ne veut pas dire que nous devons mépriser la biodiversité, les ressources naturelles : ce sont des composantes essentielles de notre écosystème. Marx lui-même disait que la nature était en quelque sorte "le corps inorganique" de l'Homme. Mais pour autant, ce qui nous occupe c'est la préservation de l'écosystème qui rend possible la vie humaine. La planète pourrait très bien continuer à tourner uniquement peuplée de cafards.

Puisque je suis sur ce point je veux souligner l’importance de penser dès aujourd’hui l’incontournable expansion vers les océans et les mers d’une humanité aujourd’hui composée de 7 milliards d’êtres humain et bientôt de 12 ! L’impensé ne sera pas maitrisé ou plus exactement c’est le règne des idées dominantes qui trouvera un nouvel espace d’application. La mer et les océans représentent 70 % de l’espace terrien. Ils sont moins connus que la surface de Mars ! 50% de notre population vit a moins de cent kilomètres d’une côte ! Eoliennes, hydroliennes tout peut aller en mer. L’aquaculture est l’unique perspective de ressources protéique abondantes à notre portée. La mer et les océans sont l’aventure concrète de l’humanité pour ce siècle-ci. Il faut en être conscient et y porter des politiques avant que celles-ci soient définies par le seul marché ! L’expansion humaine en mer est l’horizon de l’ère écosocialiste !

Question : Tu insistes avec raison sur l’idée que rien ne justifie d’opposer écologie et luttes sociales. Tu avances pour cela beaucoup de propositions pour partager les richesses mais tu parles beaucoup moins de la nécessaire réduction du temps de travail….

Je ne peux pas laisser dire que la question du temps de travail a été absente de notre campagne. Nous avons mené une rude bataille pour le retour à la retraite à 60 ans. C'est une réduction fondamentale du temps de travail tout au long de la vie. On ne peut pas faire comme si c'était une petite question alors que tant de salariés se sont mobilisés pour la gagner avant 1981 et pour la garder en 2010.

Ensuite, concernant la durée hebdomadaire, j'invite chacun à relire attentivement notre programme L'Humain d'abord. Nous défendons le plein rétablissement des 35 heures sans annualisation et en réalisant les embauches correspondantes. Dans mon discours de Lille sur l'emploi, j'ai même indiqué que revenir aux 35 heures pourrait créer 1,5 million d'emplois.

Au-delà, la question des 32 heures est légitime, et pas seulement à cause du niveau du chômage. Mais, après les régressions sarkozystes, nous avions choisi d'insister sur l'urgence de reconstruire ce qui a été détruit.

 

Question : Si le capitalisme est intrinsèquement productiviste, peut-on imaginer un socialisme antiproductiviste ?

C'est le cœur du raisonnement qui nous amène à parler d'éco-socialisme. Aujourd'hui comme hier, le principal agent productiviste est le capitalisme. Il ne peut fonctionner sur une autre base. Mais face à lui, les grandes idéologies de gauche sont dans une impasse. Tout le monde a pu constater la faillite des pays soviétiques en matière écologique et démocratique. Mais personne ne veut voir l'impasse absolue dans laquelle s'enferme la social-démocratie. Le modèle social-démocrate repose sur l'idée qu'il faut augmenter la production et qu'ainsi, les miettes pour les travailleurs seront plus grosses. C'est une impasse stratégique car il n'existe plus de capital national qui accepte de passer des compromis avec les travailleurs. Le capital d'aujourd'hui est financier et transnational. Ensuite, c'est une impasse sociale car dans le système du libre-échange, la politique de l'offre considère le travail comme un coût qu'il faudrait diminuer. C'est le sens du ralliement de François Hollande à la politique de l'offre et à la "compétitivité". La social-démocratie en est ainsi réduite à détruire l'Etat social qu'elle a elle-même construit au cours du 20e siècle. C'est enfin une impasse écologique car elle pousse à produire tout et n'importe quoi pour espérer redistribuer quelque chose. Le logiciel social-démocrate est donc totalement obsolète. Nous devons inventer autre chose, un écosocialisme qui parte des besoins humains et sociaux pour y apporter des solutions écologiques.

Question : Tu écris qu'il faut que la France redevienne la première nation maritime, tu appelles notamment à exploiter les océans avant que les capitalistes ne se les approprient. Le diable productiviste serait-il dans les détails ?

Il n'y a aucune contradiction. Je ne suis pas un productiviste qui se cache. Je crois au progrès humain. Je ne crois pas que la science soit productiviste par essence, pas plus que l'Etat d'ailleurs. Il y a une différence entre une découverte scientifique et ce que l'on décide d'en faire ou pas.

La question de la mer et des océans résume parfaitement mon état d'esprit. Je ne suis pas plus adepte d'un "capitalisme bleu" que du capitalisme vert. Quand je souhaite que la France soit la première nation maritime du monde, c'est une immense ambition de progrès pour l'humanité et une ambition écologiste. J’ai dit que les mers et les océans représentent 70% de la surface du globe. Aujourd'hui, cet espace est en train de devenir un égout à ciel ouvert. Et un lieu d’extractivisme sauvage et aveuglé ! L'éco-socialiste que je suis ne peut accepter ce saccage. Et un éco-socialiste français encore moins car notre pays dispose du deuxième espace maritime du monde, grâce à nos outre-mers. Nous avons une responsabilité immense. C'est aussi une formidable opportunité pour trouver des énergies renouvelables non carbonées, pour gérer autrement la ressource halieutique, pour découvrir et préserver les 85% de la flore et de la faune marines que nous ne connaissons même pas aujourd'hui… Mais oui, pour faire tout cela, il faudra de la science, de la technique, des navires comme il faudra des marins, des ingénieurs, des pêcheurs...



Question : Que penser de la remise en cause de la référence à la « gauche » qui vient tant de la droite (le fameux « ni gauche ni droite ») mais aussi de proches comme Jean-Claude Michéa qui se revendiquent du socialisme mais refusent radicalement ce qualificatif de gauche ?

Le problème n'est pas franco-français. En Amérique latine, nos camarades ne s'appellent plus "gauche" car, chez eux, la gauche, c'était la social-démocratie corrompue qui a pillé les pays et tiré sur le peuple. En Europe, nous sommes passés tout près de voir la "gauche" disparaître. Il s'en est fallu de peu. Face à la politique libéral du social-démocrate Schröder, Oskar Lafontaine a quitté le SPD. Et il a créé un parti dont le nom, Die Linke, avait un double-objectif : ne pas laisser l'idée de gauche s'éteindre et ne pas l'abandonner à ceux qui la reniait.

La création du Parti de Gauche et du Front de Gauche en France répond à la même logique. Nous n'avons pas de raison d'abandonner le label de "gauche" à François Hollande. Il usurpe déjà le terme de socialisme ! J'ajoute que l'usage du terme générique "gauche" a un atout : il permet de rassembler des cultures politiques très différentes, de l'écologie politique au communisme, en passant par le socialisme républicain.

Le clivage gauche/droite a encore du sens pour nombre de nos concitoyens. Mais c'est vrai que pour beaucoup d'autres, la "gauche", c'est le PS donc les sociaux-libéraux. Le PS bâtit tous ses chantages sur cette appropriation du label historique de notre courant dans l’histoire. Pour y remédier, pendant la campagne, nous avons mis en avant un autre clivage, celui entre le peuple et l'oligarchie. Nous devons continuer à marcher sur ces deux jambes pour que "gauche" redevienne synonyme de partisan du peuple. Comme en 1789. Comme cela n'aurait jamais dû cesser.

 

Question : Qu’aimerais-tu dire aux lecteurs de la Vie est à nous ! qui revendiquent être dans l’opposition face au gouvernement actuel et à sa politique antipopulaire et anti-écolo et qui affirment ne plus pouvoir voter socialiste y compris lors des élections municipales de 2014 ?

Le Front de Gauche lui-même dit qu'il est en opposition avec la politique social-libérale du gouvernement Ayrault. Si nous refusons d'être catalogué comme l'opposition au sens institutionnel du terme, c'est uniquement parce que cette catégorisation désigne les battus des élections. Or, nous n'avons pas perdu. Nous avons été floués de notre victoire contre la droite. Mais nous ne renonçons pas à obtenir notre dû. En ce sens, nous restons les ayants-droits de la victoire du 6 mai 2012.

Quant aux municipales, elles seront un mélange subtil entre un vote sanction national et des choix locaux. Pour sa part, le Parti de gauche a choisi l'autonomie et le rassemblement. Partout où c'est nécessaire, nos camarades construiront des listes autonomes. Partout où c'est possible, nous élargirons le front contre l'austérité.

Enfin pour tous ceux qui veulent changer le rapport de force à gauche, il y aura en juin 2014 des élections européennes. C'est une élection très importante. Après quatre ans d'austérité, toute l'Europe va voter le même jour ! Et en France, ce sont les seules élections nationales à la proportionnelle. Le Front de Gauche s'y présentera de façon autonome du PS. Et nous voulons passer en tête de la gauche !

 

Question : Le socialisme du Bien vivre  ne requiert-il pas une nouvelle stratégie politique ? Que répondrais-tu à ceux qui pensent que la gauche n’a pas encore assez tiré les leçons des tragédies et des impasses du 20e siècle et qui attendent que le PG affirme la primauté des mouvements sociaux dans le changement de société, loin de la verticale de tout-pouvoir ?

Nous avons tiré les leçons du passé. Aucun changement durable et profond n'est possible sans l'implication populaire. Le peuple doit prendre le pouvoir lui-même. Le Front de Gauche veut être l'outil pour cela, en devenant un véritable Front du peuple.

Pour autant, nous sommes des républicains. Nous croyons à la démocratie et aux élections. C'est pourquoi la révolution à laquelle nous aspirons est une révolution citoyenne. Elle met au centre de tout la conquête du pouvoir comme moyen pour régler les problèmes : dans le pays, mais aussi dans les entreprises. Et sur soi-même.

 

22 septembre 2013

Rendez vous à Grigny (Rhône) le 26 octobre 2013 !

Rendez vous à Grigny (Rhône) le 26 octobre 2013 !

Nous avons besoin de votre participation active !

 

3e Forum national de la désobéissance citoyenne 

samedi 26 octobre - Entrée libre et gratuite
70 ans après le programme du Conseil national de la Résistance (CNR),
quel Bien Vivre en France ? Écrire de nouveaux jours heureux.

9h, ouverture par René Balme, Maire de Grigny

Paul Ariès, rédacteur en chef du mensuel les Z’indigné(e)s

« Ce qui s’invente en Afrique, en Asie, dans les Amériques et en Europe ».

- Interventions animées par Simon Lecomte, éducateur spécialisé
- Animation musicale avec la batucada du Village d’Emmaüs Lescar-Pau.
- Performance artistique inscrite dans le cadre de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon.

Matthieu le Quang, sociologue : « Quel Buen vivir en Amérique du Sud ? ».
Geneviève Azam, économiste, porte-parole de ATTAC-France : « Quelles notions de richesse et de pauvreté ? ».
Francine Mestrum, sociologue, coordinatrice Global Social Justice : « Quelles expériences dans les pays du Sud ? ».

Débat dans la salle

Aline Rigaud, victime de harcèlement sexuel, : « Harcèlement sexuel : oser désobéir à la loi du silence », retour sur son
affaire, annulation de la loi par le Conseil constitutionnel.

Yves Henri, sculpteur, conférence-performance participative "Et on dit que c'est de l'art !"



Pause déjeuner : buvette gourmande, boissons et repas froid



Didier Magnin, président de Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui : « le programme du CNR ».
Germain Sarhy, responsable du Village Emmaüs Lescar-Pau.
Débat dans la salle

Aurélie Trouvé, animatrice du conseil scientifique d’ATTAC.
Alain Cantarutti, Françoise Ahard, Denis Ladous, Fédération des Centres sociaux.
Yves Rémy, directeur du CIDEFE.
Débat dans la salle

18h, conclusions par René Balme et Paul Ariès.
Pause gourmande, apéritif

19h30 Soirée cabaret animée par Monsieur Timide

Spectacle : 3 € / dîner-spectacle : 20 € - 
Réservation obligatoire : Monsieur le Maire - service Protocole - 3 av. Jean Estragnat
BP 12 - 69520 GRIGNY - tél. 04 72 49 51 75 - courriel : protocole@mairie-grigny69.fr

Possibilité de camper gratuitement sur place (gymnase) 

Village associatif (à ce jour)
Ville de Grigny
Les Z’indigné(e)s
Le Citoyen
ATTAC Rhône
Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui
Association végétarienne de France
Résistance à l’agression publicitaire
Objecteurs de croissance, etc
Surface limitée, réservation obligatoire d’un emplacement : Monsieur le Maire - Cabinet du maire - 3 av. Jean Estragnat
BP 12 - 69520 GRIGNY - tél. 04 72 49 52 34 - courriel : cabinetdumaire@mairie-grigny69.f

 

Site du Forum : ladesobeissance.canalblog.com

site du nouveau mensuel les Zindign(e)s : www.les-indignes-revue.fr/

22 septembre 2013

Gauches et antiproductivisme : les rendez-vous manqués

Gauches et antiproductivisme : les rendez-vous manqués

Extrait du livre collectif 

Je n’ai jamais cru à la thèse du retard en matière d’écologie : la gauche n’est pas productiviste parce qu’elle n’aurait pas encore assez réussi sa mue. Les gauches du 18 et 19 e siècle étaient beaucoup moins productivistes que la gauche du 20e siècle, et même de ce début de 21e siècle. Le productivisme de gauche n’est pas une maladie infantile mais la conséquence de choix politiques. J’ai montré dans La Simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance (in La Découverte) qu’il y a toujours eu deux gauches depuis qu’elles se nomment ainsi. Il y a toujours eu une gauche productiviste, celle qui a foi dans le développement des forces productives, celle qui croit à l’enchainement automatique des modes de production (après le féodalisme, le capitalisme, puis le socialisme et le communisme), celle qui confond progrès humain et progrès technique, celle qui est passée de la perspective de l’abolition de l’Etat à son culte… Cette gauche productiviste a toujours été dominante, dominatrice même, mais elle a aujourd’hui du plomb dans l’aile, car elle ne peut plus promettre le pays de Cocagne à plus de sept milliards d’humains. Elle est discréditée par la double faillite du modèle social-démocrate reconverti en social-libéralisme puis en nouveaux démocrates et du modèle stalinien foncièrement anti-communiste. Mais il y a toujours eu une autre gauche (d’autres gauches serait plus juste) antiproductiviste plongeant ses racines dans les résistances spontanées des milieux populaires à ce qui fut toujours présenté comme un progrès, hier comme aujourd’hui, je pense aux luttes multiséculaires des paysans et des ruraux s’opposant au mouvement des enclosures, je pense aux ouvriers cassant non pas toutes les machines mais celles qui prenaient leur place, je pense au Droit à la paresse de Paul Lafargue, je pense aux courants pré-socialistes, je pense aux socialistes utopistes, je pense au socialisme chrétien, celui du 19e siècle jusqu’aux théologies de la libération. Je pense à Charles Fourier, prophète d’une réconciliation avec la nature, puisqu’une société libérée de l’exploitation en finirait aussi avec la domination de la nature. Je pense à Marx et à son éloge de l’œuvre de Justus von Liebig qu’il qualifie de plus importante que celles de tous les économistes réunis. Il écrit dans le Capital : « L’un des immortels mérites de Liebig est d’avoir développé le côté négatif de l’agriculture moderne, du point de vue des sciences naturelles. » Le grand chimiste allemand est le premier à avoir dénoncé de façon systématique les méthodes de l’agriculture intensive (dégradation des sols, déplacement sur de longues distances, importation du guano du Pérou, utilisation des ossements de toute l’Europe, etc. Liebig permet à Marx de penser le capitalisme comme rupture de l’interaction métabolique entre tous les êtres humains et la Terre, et donc de donner comme objectif la restauration de cette relation métabolique nécessaire qu’il qualifie même de « loi de régulation de la production sociale. » Je pense à Engels et à son amitié intellectuelle pour Carlyle, le dénonciateur de « l’âge industriel ». Je pense aux auteurs socialistes critiques du productivisme durant tout le 19e siècle avec William Morris, Henry Salt, August Bebel, Rosa Luxembourg. Karl Kautsky lui-même fera la critique de l’agriculture intensive en dénonçant l’utilisation des engrais et des pesticides. Rosa Luxembourg s’émouvra de la disparation de certaines espèces et de la pollution. Je pense aux sublimes, ces ouvriers hautement qualifiés du 19e siècle, qui choisissaient de travailler le moins possible et refusaient de s’embaucher le lundi car la saint-lundi avait un grand avantage sur les dimanches c’était que les cabarets étaient ouverts, je pense au mot d’ordre des années soixante dix pour « vivre et travailler au pays ». Walter Benjamin élaborera une critique radicale du concept d’exploitation de la nature. Dès 1928, il dénonce dans son livre Sens Unique l’idée de domination de la nature comme un discours impérialiste, il revisite la technique pour la définir comme maîtresse des relations entre la nature et l’humanité. Il dénonce la cupidité de notre civilisation et parle de dénaturation de la société, de vol des dons de la nature, d’appauvrissement des sols, de ruine des écosystèmes. Il remet en cause l’idée même de progrès en montrant que le développement technique est impulsé par le capitalisme/productivisme. Sa conception de la révolution n’est donc pas celle de la table rase, de l’accélération de l’histoire mais de l’interruption d’une histoire qui conduit à la catastrophe. Benjamin fait même l’éloge des sociétés matriarcales du passé dans laquelle la nature est perçue comme une mère généreuse (nous voisinons ici avec ce que pourrait chercher à exprimer un « pachamamisme à la française »).  Ces autres gauches ont toujours été minoritaires, ridiculisées, condamnées au point qu’elles étaient devenues complètement pessimistes à l’image du courant philosophique marxiste hétérodoxe de l’Ecole de Francfort… Le vrai enjeu n’est donc pas selon moi d’opposer un Marx écolo et un Marx productiviste, puisque Marx est les deux à la fois, mais de comprendre pourquoi les gauches ont toujours choisi majoritairement de prendre le mauvais chemin, celui du productivisme, celui de l’économisme (cette idée que « plus » serait toujours égal à « mieux »). Je n’ignore pas qu’on lutte toujours dans le cadre du système et que la lutte pour un meilleur partage de la valeur ajoutée était le cadre offert par le capitalisme, mais justement les textes de Marx, d’Engels n’ont pas manqué pour dénoncer cette conception de la lutte des classes, pour opposer ce que serait le véritable mouvement réel d’émancipation qui conduit au communisme et le « trade-unionisme » (On peut relire sur ce point Karl Marx, Friedrich Engels, le syndicalisme, tomes 1 et 2, PCM, 1978)… La grande défaite historique des gauches antiproductivistes s’est faite en deux temps. Ce fut d’abord la victoire de la social-démocratie allemande dénoncée vertement par Marx dans sa critique du programme de Gotha, victoire qui fut celle à  la fois de l’étatisme (socialisme étatiste) et de l’économisme (trade-unionisme). Cette victoire du productivisme de gauche tient donc d’abord au positivisme social-démocrate dont la caricature fut Joseph Dietzgen (1828-1888) avec son culte de la technique, avec son mépris de la nature offerte gratuitement à l’humanité (Dietzgen était un ami de Marx qui en fit l’éloge dans son livre Le Capital). On pourrait citer a contrario la thèse de Lankester, autre ami de Marx, qui explique que l’évolution n’est pas nécessairement un progrès mais une dégénérescence, avec une extinction des espèces du fait de l’homme, avec la pollution. Son disciple Tansley sera l’écologiste le plus important de Grande Bretagne au 19e siècle, inventeur du concept d’écosystème, président fondateur de la société britannique d’écologie, socialiste fabianiste… Ses travaux permettront au biologiste marxiste britannique Lancelot Hogben de s’opposer au nom de la notion d’écosystème à la conception holistique du général Jan Smuts en 1926 au moment de la mise en place du régime d’Apartheid en Afrique du Sud.

Ce fut ensuite la victoire du stalinisme, c'est-à-dire la fin des expérimentations socialistes/communistes que l’on peut dater de 1923 au regard de la convergence de tant de travaux vers cette date fatidique (Reich dans le domaine de la sexualité, Kollontaï dans le domaine du féminisme, Bettelheim dans le domaine de l’économie, Pannekoek dans le domaine de la politique/démocratie, Anatole Kopp dans le domaine des expérimentations urbaines, architecturales, artistiques, des modes de vie, John Ballamy Foster dans le domaine de l’écologie et de l’antiproductivisme, etc.). J’ai pu écrire que la gauche productiviste c’est d’abord la gauche stalinienne (in La vie est à nous ! /le sarkophage de janvier 2012) en raison de la victoire de la bureaucratie rouge sur le peuple, en raison de la contre-révolution stalinienne. Je suis convaincu qu’au fondement du productivisme de gauche il  y a la question du pouvoir, il y a la question de la bureaucratie… C’est par peur du peuple et des militants que l’URSS est devenue productiviste, c’est a contrario parce qu’ils ont compris « nativement » que le grand problème de la révolution ce n’est pas la conquête du pouvoir central, ni même son partage, mais d’apprendre à s’en défaire que les milieux libertaires seront historiquement les seuls à résister à la vérole productiviste. La gauche est malade du productivisme parce qu’elle est d’abord malade du pouvoir, du centralisme. L’URSS préstalinienne était au cœur des recherches pionnières sur l’écologie comme l’atteste l’invention en 1925 du concept de Biosphère introduit par Vladimir Vernadsky (1863-1945), le père de la science soviétique, comme l’atteste aussi son écologie des salaires (réduction des inégalités), sa suppression tendancielle de la monnaie (avec un revenu en nature), ses expérimentations en matière de logement, de modes de vie, etc. John Bellamy Foster a donc raison de dire que la relation d’antagonisme entre le capitalisme et l’environnement, qui est au cœur de la crise actuelle, était paradoxalement plus évidente qu’elle ne l’est aujourd’hui pour la majorité des penseurs écologistes » (page 11). J’ajoute même pour ceux de la gauche dominante.

Les gauches antiproductivistes n’ont cependant jamais cessé d’exister : d’abord aux Etats-Unis avec toute une tradition écologique de gauche riche d’auteurs comme Rachel Carson (Le printemps silencieux, 1962) et Barry Commoner, ensuite en Europe de L’Est avec des marxistes en quête d’un socialisme sans croissance. Rudolf Bahro est certes le plus connu avec son ouvrage L’Alternative mais il témoigne de tout un courant en URSS, en Allemagne de l’Est, etc. John Bellamy Foster parle de « trou noir » avec/après le stalinisme : « le stalinisme purgera littéralement le commandement et la communauté scientifique soviétique de ses éléments les plus écologiques –ce qui n’avait rien d’arbitraire, puisque c’est dans ces cercles que se trouvait une part de la résistance à l’accumulation primitive socialiste » (page 25). Boukharine et Vavilov seraient les deux symboles de cette défaite de la pensée antiproductiviste soviétique. Bellamy note que le marxisme de l’Ouest ne résistera pas mieux en devenant un positivisme concevant une histoire humaine isolée de la nature. La seule exception majeure serait le marxisme britannique et notamment Caudwell.

Les gauches au 20e siècle sont donc devenues celle de la plus grosse louche, par opposition à ce qu’aurait pu être une gauche anticapitaliste, antiproductiviste. Cette gauche a su profiter de rapports de force plus favorables (1936, la libération) pour imposer des réformes essentielles mais elle n’a pas su faire, par exemple, de la sécurité sociale un principe voué à se généraliser…. Cette gauche là s’est trop économisée au 20e siècle au double sens du terme : en accordant une trop grande place à l’économie et aux économistes et en refusant toute expérimentation, ce qui la conduira à casser volontairement   le syndicalisme à bases multiples, le mouvement coopératif, le socialisme municipal, censés détourner de la conquête du pouvoir central.   

Je fais le pari d’un renouveau possible d’une gauche antiproductiviste, enfin optimiste. Cette nouvelle gauche n’est certes plus celle de la plus grosse louche mais elle n’est pas davantage celle de la plus petite louche à l’instar de la décroissance de droite, elle est celle de l’invention de nouveaux modes de vie. Cette gauche antiproductiviste du bien vivre reste encore bien fragile. La gauche n’est pas encore majoritairement guérie du productivisme, comme l’attestent le soutien de la CGT aux gaz de schistes ou celui du PCF au nucléaire. Il ne s’agit pourtant pas d’opposer une bonne gauche à une mauvaise gauche dans la mesure où toute la gauche (et probablement la majorité de ses acteurs) est traversée par ce conflit productivisme/ antiproductivisme, passions tristes/passions joyeuses, centralisme politique ou créativité populaire. J’ajouterai qu’il y a souvent plus de différences au sein d’un même parti qu’entre deux militants membres de deux organisations différentes… On ne saurait cacher cependant que le dosage est différent entre les mouvements . Un petit pas a été accompli ces dernières années par toute une partie des gauches, mais la meilleure façon d’avancer vers un éco-socialisme qui ne serait pas que de nom, c’est d’inventer ce que pourrait être un « Buen vivir » à la française, bref de basculer du côté positif de la critique, de reconnaître la primauté des mouvements sociaux dans la révolution (ce qui ne signifie nullement opposer un éco-socialisme par en bas à un socialisme productiviste par en haut). Cette foi dans la naissance d’une nouvelle gauche antiproductiviste enfin optimiste, dans une Objection de croissance amoureuse du Bien vivre est fondée sur une bonne nouvelle : la planète est déjà bien assez riche pour permettre à plus de sept milliards d’humains d’accéder, dès maintenant, au Bien vivre. L’ONU estime qu’il suffirait de mobiliser durant 25 ans 40 milliards de dollars par an pour régler le problème de la faim dans le monde. L’Onu ajoute qu’il suffirait de mobiliser moins de 100 milliards de dollars pendant 25 ans pour régler le problème de la pauvreté dans le monde… Ces 40 ou ces 100 milliards sont bien sûr introuvables mais le budget militaire mondial est de 1400 milliards de dollars, le budget publicitaire de 900 milliards de dollars, le PIC (produit international criminel) de 1000 milliards de dollars soit 10 à 15 % du PIB mondial… à comparer au même pas 1 % donné pour l’aide au développement. Ces 70 milliards de dollars représentent 0,2 % du PIB mondial, soit l’équivalent d’une seule journée de travail à l’échelle mondiale…  On le voit, ce n’est pas un problème de croissance, ce n’est pas un problème de moyens. Cette bonne nouvelle est la condition matérielle nécessaire pour passer des passions tristes aux passions joyeuses mais elle ne suffit pas en elle-même. Il faut en finir à gauche avec toute idée de sacrifice, avec toute idée d’ascèse, de restriction, de punition, etc. Nous devons laisser cela à la droite, à la gauche productiviste et à la décroissance bigote. Qui dit sacrifice dit en effet nécessairement appareil (idéologique et répressif) pour gérer ce sacrifice. L’église a promis le paradis céleste mais on a connu l’Inquisition, le fondamentalisme, l’intégrisme et même aujourd’hui la décroissance bigote. Le stalinisme a promis le paradis terrestre pour après-demain matin mais on a connu les générations sacrifiées, le goulag, le capitalisme d’Etat. Je ne crois plus aux lendemains qui chantent car je veux chanter au présent. Je veux chanter au présent car comme le disait Gilles Deleuze seul le désir est révolutionnaire, le grand désir de vie face au capitalisme mortifère… Si le capitalisme est en effet tout ce qui nous tue (OGM et semences stériles en agriculture, casse des cultures populaires, effondrement de la biodiversité) alors l’éco-socialisme, le socialisme gourmand est tout ce qui nous fait vivre. Je l’affirme avec force : l’éco-socialisme ne peut être que celui des passions joyeuses, il ne peut être un nouvel étatisme, une tyrannie des sages. Nous devons saisir aujourd’hui les cadeaux conceptuels/théoriques que nous font les pays appauvris. Je pense à des concepts en construction comme le « Buen vivir » sud-américain, mais aussi à l’anti-extractivisme, au pachamamisme, à la bioconnaissance, etc. Nous vivons l’époque d’un socialisme du buen vivir, d’un socialisme postpétrolier.

 

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22 septembre 2013

Entretien autour du Socialisme gourmand

Entretien autour du socialisme gourmand

A la veille des élections présidentielles et législatives, Paul Ariès publie Le Socialisme gourmand, petit traité politique du Bien-vivre (La Découverte). Un ouvrage de synthèse qui défend une Objection de croissance, ancrée dans les gauches et amoureuse du Bien-vivre.

 

Texte paru dans le Sarkophage

 

Simon Lecomte : Tu dis que ton nouveau livre est celui d’une défaite assumée et d’un immense espoir. Tu évoques la gigantesque banqueroute des « socialismes réels ». Tu sembles cependant reprendre très vite espoir, ce qui ne surprendra pas ceux qui te côtoient...

Paul Ariès : J’avoue avoir eu souvent, ces dernières années, la gueule de bois idéologique. J’ai toujours fait l’éloge du doute mais l’horizon a semblé bien des fois bouché.   Je répétais certes qu’il ne fallait pas se laisser envahir par le discours anxiogène et fataliste qui participe tant à la répression de la vie; mais je me sentais un de ces révolutionnaires devant apprendre à vivre sans révolution. J’aurais aimé me libérer plus tôt de cette tempête pessimiste qui fait ployer les gauches, mais j’avais besoin de cet appel du grand large que représentent les mouvements pour le « Bien vivre ». J’avais dit que je ne finirai cet ouvrage, en chantier depuis des années, que si j’avais la conviction intime que mes nouvelles raisons d’espérer tenaient moins à l’optimisme de ma volonté qu’à un amoncellement de signes témoignant de quelque chose en souffrance, bref de la possibilité d’une victoire. Vitupérer ad nauseam contre l’imposture et les espoirs déçus et trahis aurait été en effet une perte de temps si les conditions n’étaient pas réunies pour ’apercevoir dans le ciel des divers continents les signes annonciateurs d’un nouveau socialisme, d’un socialisme de la décroissance, d’un éco-socialisme, d’un socialisme qui préfère chanter la vie au présent à l’attente de  « lendemains qui chantent ».

Simon Lecomte : Tu cites des dizaines de nouveaux gros mots qui tous cherchent à ouvrir la même porte, qui tous témoignent de la volonté de rompre une sorte d’ensorcellement sémantique : le « sumak kaway » des indigènes indiens, le « buen vivir » (Bien vivre) des gouvernements équatoriens et boliviens, les « nouveaux jours heureux » des collectifs des citoyens-résistants (clin d’œil au programme du Conseil national de la Résistance dont le titre était Les jours heureux),  la « vie pleine » de Rigoberta Menchu (Prix Nobel de la paix 1992),  la « sobriété prospère », la « frugalité joyeuse » ou, encore, les « besoins de haute urgence » du mouvement social en Guadeloupe, etc. Tu développes la thématique d’un nouveau « socialisme gourmand »… Je me souviens que le mot t’est venu…il y a quelques temps déjà, en regardant de nouveau le chef d’œuvre de Théo Angélopoulos « Alexandre le grand », le conflit entre deux révolutions, deux socialismes.

Paul Ariès : Je te remercie de citer Théo car tu sais tout ce que je dois à son imaginaire. Théo est mort le 24 janvier dernier renversé par une moto alors qu’il préparait un nouveau film sur la révolte grecque. Il fait partie des poètes qui frayent devant eux nos chemins d’émancipation. Tous ces nouveaux « gros mots » permettent eux aussi de définir un nouvel horizon émancipateur. J’ai choisi de parler de  « socialisme gourmand » pour penser et marcher en dehors des clous. Parler de « socialisme » c’est continuer à dire que nous avons des ennemis à vaincre, autant le capitalisme que le fétichisme d’État ; c’est rappeler que les socialismes n’ont été croissancistes qu’accidentellement et qu’il est donc possible de penser un socialisme sans croissance. Parler de « gourmandise » permet d’en finir avec l’idée d’un socialisme du nécessaire qui ne va jamais sans générations sacrifiées, donc aussi sans appareil de parti ou d’État gérant cette mal-jouissance. C’est aussi mieux identifier le mal qui nous ronge, ce travail de mort qui caractérise le capitalisme, c’est se défaire des passions tristes y compris dans nos formes d’engagement, c’est avoir foi dans les capacités de régénération des forces de vie, c’est choisir de développer des politiques qui éveillent la sensibilité, le sens moral contre les critères de performance et d’efficacité qui sont ceux du capitalisme. Le pari est que les termes accolés « socialisme » et « gourmand » enfanteront beaucoup plus que leur simple addition. C’est donc prendre au sérieux le constat que les mots sont des forces politiques, des puissances imaginaires qui peuvent faire bouger des montagnes si elles émanent des masses…

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Simon Lecomte : Il me semble que tu nous dis cependant bien autre chose. Tu consacres un chapitre à ce que tu nommes le socialisme en souffrance. Il s’agit d’ouvrir sur quelque chose qui existe déjà au moins en creux mais que nous ne percevons pas, qui reste innommable, non-représentable, inactuel mais dont nous avons besoin pour être du côté du vivant. Tu dis qu’une gauche qui fréquente trop assidument le système ne peut que devenir inauthentique. Tu ajoutes qu’une autre gauche n’a pourtant jamais cessé d’exister, de résister et même de créer. Il s’agit de nous émanciper de la contrainte de (nous) penser dans les catégories de nos adversaires, avec leurs agendas, leurs ordres du jour, leurs priorités et leurs limitations, leur insensibilité, leur forclusion.

Paul Ariès : Je fais appel à une notion proposée par Jean-François Lyotard : une parole peut être dite « en souffrance » en raison de sa trop grande différence, lorsqu’elle échappe aux catégories de perception et de conceptualisation dominantes, lorsque le régime des phrases ou les genres établis sont tout simplement incapables de l'accueillir. Ainsi, les manifestations du socialisme gourmand échappent aux catégories du sentir et du dire qui sont devenues celles des gauches moribondes. Combien a t-il fallu batailler pour convaincre que refuser la malbouffe, combattre la « sportivation » de la vie, c’est aussi faire de la politique du point de vue des dominés ? Pourquoi a-t-il fallu batailler pour faire admettre que le Slow food ou les villes lentes sont déjà des petits bouts de solution ? Rendre le socialisme gourmand possible, c’est donc d’abord le rendre perceptible. La gauche n’a rien vu venir : ni le féminisme, ni l’écologie, ni le racisme de gauche, ni la haine de l’islam, ni le mouvement « queer » et la question des genres, ni l’antispécisme et la nécessité de penser d’autres rapports aux non-humains, ni la montée en puissance de l’individu et celle des communautés, ni la désobéissance, ni la nécessité d’inventer d’autres rapports à la nature. Le socialisme gourmand reste littéralement invisible car nos sens (comme nos idées) sont limités, claquemurés par le système. Lyotard rappelle à juste titre qu’une journée de travail n’évoque jamais la même chose pour un salarié et son patron. J’ai donc voulu rendre compte non pas d’une gauche inexistante mais d’un socialisme largement invisible bien qu’existant déjà partiellement. On ne peut qu’être sidéré devant la cécité face à ce que fut le mouvement coopératif.

Simon Lecomte : Tu opposes ce que tu nommes le socialisme du désir au désir de socialisme. Tu cites Léon Bloy qui prévenait que la colère des dieux s’abattrait sur ceux qui oseraient toucher au désir des pauvres.

Paul Ariès : Le Ciel ne nous est pas tombé sur la tête mais il est de plus en plus difficile d’exister réellement dans cet univers voué à la marchandise et à l’accumulation sans fin… Nous peinons à donner un sens réel à nos existences et nous sommes devenus sourds aux appels à la vie. Le vrai dissensus  est aujourd’hui de parler la langue du plaisir avant celle de la revendication. La gauche n’a pas compris que le peuple n’aurait pas de désir à opposer au capitalisme tant qu’il n’aurait pas de droit au plaisir. Le syndicalisme a régressé lorsqu’il a cessé de faire contre-société. Le féminisme a régressé en exigeant la parité ce qui a marqué le passage de la revendication du droit au plaisir à celle du droit au pouvoir. Souvenons-nous de la consternation de la gauche sage et frigide face aux cortèges féministes dans lesquels les manifestantes faisaient le symbole du vagin avec leurs mains. Le socialisme gourmand prend donc au sérieux l’idée que seul le désir est révolutionnaire. Il ne s’agit plus de combler un manque mais de développer les liaisons sociales : « moins de biens, plus de liens ». Comme le proclamait Deleuze : « Le désir est révolutionnaire parce qu’il veut toujours plus de connexions et d’agencements[1]. La  véritable particule élémentaire, ce n’est pas l’individu, c’est la liaison, le don, la gratuité. Mais en même temps, si le désir est ce qui autorise le plein déploiement de la vie, il est alors aussi ce qui permet que s’opère  l’individuation de l’individu. On peut comprendre dès lors qu’il puisse y avoir de la joie dans les maquis ou durant des grèves dures, longues, à l’issue incertaine. Autant de moments où le combat exprime « la vérité même du mouvement de l’être » c'est-à-dire la « jouissance de l’être comme jouissance d’être » (R. Mishari). Sans cette jouissance d’être, le socialisme ne peut qu’être un échec. Là où le socialisme réel fut si souvent celui de la tristesse, le socialisme gourmand chemine vers une positivité existentielle ; je dis bien chemine, non parce qu’il rencontre des obstacles, mais parce que le bonheur est un acte, pas un état. La jouissance d’être n’est pas contradictoire avec la limite. Elle n’est pas davantage rectiligne. Puisque le désir est multiple et contradictoire, le Socialisme gourmand ne peut donc qu’être polymorphe, symphonique, excédentaire…C’est pourquoi le mouvement pour la réduction du temps de travail (les 32 heures, tout de suite) reste un instrument essentiel de libération. C’est pourquoi il ne peut y avoir de socialisme gourmand sans droit à un revenu garanti. Mais aucune réduction du temps de travail et aucun revenu garanti ne pourront jamais à eux seuls (nous) sortir des années du « plus de jouir » capitaliste, ne pourront résoudre nos angoisses existentielles et nous libérer des réponses capitalistes. C’est pourquoi, il nous faut construire dès maintenant des îlots de socialisme gourmand afin de casser l’imaginaire capitaliste et ce que l’imaginaire socialiste a de capitaliste.

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Simon Lecomte : Tu parles d’un socialisme de la passion que tu opposes au capitalisme.

Paul Ariès : J’emprunte ici l’argumentation sans faille de Plinio Prado. Nous devons en finir avec ce qui restait de philosophie antique dans  les socialismes réels et ne plus être du côté de l’ascèse. Ce programme philosophique fut aussi un programme politique qui s’est révélé néfaste. Face au rigorisme, le socialisme gourmand doit inscrire, au contraire, à son programme le droit à l’intensification et au raffinement du sensible qui n’est nullement le « jouir sans entraves ». Cette thèse est féconde parce qu’elle prend le contre-pied de celle sur la soi-disant crétinisation des masses : les gens sont moins bêtes que désespérés, moins manipulés qu’insensibilisés.  Le socialisme gourmand ne prêche pas une quelconque ascèse corporelle, le refus d’un corps mauvais et putrescible dont il faudrait apprendre à se (dé)fier au profit d’une belle âme pure et immatérielle. Les politiques du « bien vivre » que nous proposons ne sont pas des incitations à s’automutiler. Nous devons réapprendre des mots et des gestes pour nous rendre disponibles aux sentiments. Jean-Luc Nancy propose celui d'adoration. Pourquoi pas si nous lui enlevons toute dimension théologique.  Il s’agit aussi de nous donner des gestes, d’apprendre déjà à se « réincarner » dans nos propres corps. Le capitalisme a pénétré en nous et nous a contaminés : notre corps est le premier territoire à libérer. Nous ne sommes pas sans bagages pour commencer ce voyage :  Je pourrai citer ce travail sur la sensibilité qu’est l’engagement militant, le fait que nos moi se frottent les uns aux autres dans une perspective qui n’est pas celle du profit ; je pourrai citer les mille façons de travailler autrement que développent le mouvement coopératif, l’économie sociale et solidaire, les mille façons de vivre autrement avec l’habitat autogéré, les  AMAP, les SEL, les monnaies locales, le refus de la « sportivation  de la vie » qui va bien au-delà de la nécessaire critique du sport. .

 

Simon Lecomte : Tu expliques longuement comment les gauches ont volontairement sacrifié le syndicalisme à bases multiples, le socialisme et le communisme municipal, le mouvement coopératif…Tu rends finalement ces gauches-là responsables de leur échec. Tu en conclues à la nécessité de faire sécession aujourd’hui. Tu en fais même la condition première d’une issue au capitalisme, d’une refondation d’un nouveau socialisme. N’est-ce pas un point de vue défaitiste ?

Paul Ariès : Ce faire sécession est tout sauf du défaitisme, c’est un appel au protosocialisme. Les gauches du 20e siècle n’ont pas su (ou voulu ?)  développer des réalisations à la hauteur de leur projet ; elles ont abandonné l’idée de faire contre-société et de cultiver leur autochtonie. Elles se sont mises en jachère. Elles ont pensé que la meilleure façon d’avancer vers le socialisme était de camper dans l’enceinte du capitalisme pour y travailler ses contradictions de l’intérieur. Résultat : non seulement le peuple n’existe plus (ou si peu), il n’a jamais été autant intégré corporellement (de par ses modes de vie) et mentalement (de par ses valeurs) dans le capitalisme et le productivisme. Conséquence : les gauches ont fini par y perdre leur âme. Comment se plaindre qu’elles soient devenues gestionnaires alors qu’elles n’ont eu de cesse d’ intégrer les milieux populaires à la nouvelle économie (psychique) capitaliste et au mode de vie qui lui correspond et l’entretient? Ce qui est certain c’est que nous devons multiplier les expérimentations, car seules les marges permettront de recréer une politique vivante. En « permaculture », les marges désignent ces lieux en bordure qui sont toujours les plus féconds, les plus vivants. C’est là qu’on rencontre le maximum de métissage, de biodiversité. Les marges ont donc vocation à devenir autant de lieux de vie, de laboratoires du futur.

 

Simon Lecomte : Tu parles aussi de la nécessité d’inventer un socialisme existentiel. Tu évoques des aspects classiques comme l’invention de nouveaux communs mais tu dessines aussi d’autres perspectives en évoquant la place de la fête et de la fantaisie, en appelant à l’amour et à l’amitié, en invitant à la beauté…Tu parles même de la nécessité d’inventer des exercices spirituels opposés à ceux du capitalisme : l’école capitaliste, la TV-lobotomisation, les sports de compétition, l’agression publicitaire, etc. J’avoue avoir découvert certaines pages bien cachées de l’histoire du socialisme concernant les expérimentations sexuelles, alimentaires, ludiques, etc.

Paul Ariès : ce socialisme pratique que j’évoque est nécessairement métèque : il ne s’agit nullement de songer à un retour aux architectes sociaux, aux systèmes tout fait (Cabet, Weitling, Dézamy…). Le socialisme pratique est nécessairement kaléidoscopique et tourbillonnant. Il n’y a nulle unification a priori, mais il n’y en a pas davantage a posteriori. L’écriture du socialisme gourmand se fait en spirale puisqu’il s’agit de penser des ruptures réelles qui ne sont plus des ruptures globales. Ce qui est contestable, ce n’est pas que les gauches aient voulu questionner la sexualité, l’alimentation, la pédagogie, les astres, etc., mais d’avoir cru au pouvoir, c'est-à-dire à la centralité de la révolution, à la possibilité de changer de vie en imposant des modèles qui écrasent la subjectivité individuelle et collective. Le socialisme pratique répond à la nécessité pour les gauches d’une cure de dissidence. Nous devons accepter le fait que le combat révolutionnaire procède souvent par des détours : la grammaire avec Proudhon, la médecine avec Raspail, la sexualité avec Reich, l’astronomie avec Blanqui, la pédagogie avec Jacotot. Une chose cependant n’a pas changé depuis Marx et Engels, depuis Guesde et Lénine, depuis Paul Brousse ou Benoit Malon : les défaites successives s’expliquent par le refus d’une partie des forces socialistes de tenter de réaliser des « petits bouts » de socialisme. Cet échec fut donc souhaité,  revendiqué, programmé, organisé et finalement réussi et applaudi. Ce sont (presque) toujours les mêmes qui s’opposent au mouvement coopératif, à l’économie sociale et solidaire, à l’extension de la sphère de la gratuité, au nom de la pureté du combat de classe nécessairement frontal, au nom de la construction prioritaire du grand parti révolutionnaire. Songer aux mille façons de construire des « petits bouts de socialisme » demeure iconoclaste même si ce chemin est un des plus courts pour inventer des gauches buissonnières, des gauches maquisardes contre l’impuissance des gauches gestionnaires ou gesticulatoires. Le détour par les expériences historiques est d’autant plus important que la crise sociale et politique actuelle créé les conditions d’un retour au « socialisme municipal », au mouvement coopératif, à un syndicalisme de services, à l’économie sociale et solidaire. C’est enfin la condition pour que la gauche retrouve le peuple.

Simon Lecomte : Tu évoques en effet la nécessité d’un socialisme populaire…

Paul Ariès : Toute la stratégie du socialisme gourmand pose en effet la question du renouveau des cultures populaires entendues comme des cultures pré ou post-capitalistes. Contrairement à l’idéologie dominante, les milieux populaires n’ont pas disparus, ni les gens modestes, ni la classe ouvrière, ni la paysannerie. Parler de socialisme populaire suscite beaucoup de résistances, d’irritations. Il me semble qu’elles sont de même nature que celles suscitées par la mise en cause du dogme de la croissance économique. Certaines résistances sont théoriques. D'autres, esthétiques. Le « petit peuple » n'a jamais eu bonne presse dans les milieux socialistes, à quelques rares exceptions, comme celle d'Orwell qui ne cessa jamais de chercher une sorte de « bon sens populaire ». Michel Surya cite quelques-uns des noms d'oiseaux qui servaient à Marx à disqualifier la plèbe : « masse amorphe, décomposée, ballotée », « vagabonds », « forçats sortis du bagne », « galériens en rupture de ban », « escrocs », « charlatans », « lumpenprolétariat ». Il est erroné de penser que les cultures populaires n’ont été que des sous-produits de la culture dominante, comme s’il pouvait n’exister, dans une société de classes, qu’une seule et unique façon de sentir, de penser, de rêver, d’être. Les milieux populaires ont toujours expérimenté des formes de vie « autres ». Comment faisait-on et comment fait-on pour vivre (et « vivre » malgré tout) et pas seulement survivre, sans beaucoup d’argent, sans épargne ? Quelles valeurs ont-elles émergé de ces modes de vie ? Refuser la primauté des « couches moyennes », c’est refuser le fétichisme de l’économie, celui de l’État et la fausse solution de l’étatisation du capitalisme comme chemin de l’émancipation. La centralité des couches moyennes a été une façon de discipliner les milieux populaires.

Simon Lecomte : Tu évoques aussi ce que tu nommes un socialisme de parole

Paul Ariès : Il ne peut pas y avoir de socialisme gourmand sans appel à la subjectivité, or la subjectivation requiert le langage, mieux, la prise de parole. Les mouvements sociaux récents éprouvent le besoin de renouveler la langue. Ce livre ne fait pas exception.  Le désintérêt des gauches pour le langage a accompagné l’effondrement des projets, la faiblesse des mobilisations, mais aussi la crise de la créativité langagière populaire (malgré l’argot des jeunes des banlieues). Il a accompagné la disparition d’une langue politique qui défie l’ordre. L’histoire des gauches se confond avec celle du pouvoir de la parole, en particulier celle des tribuns : Robespierre, Saint Just…oserais-je dire Mélenchon. Le langage des gauches est devenu étranger, incompréhensible pour le commun. La gauche doit retrouver sa capacité de séduction, de mobilisation mais aussi de compréhension. Je suis heureux que l’on réapprenne à se nommer et à nommer l’ennemi : une des plus grandes victoires de la bourgeoisie est d’avoir rendu innommable sa propre classe. Après le « Président des riches », Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot traiteront dans le Hors série du sarkophage « On change tout » du « président des pauvres ». Jacques Rancière a montré que le nom est ce qui garantit la puissance ; la naissance se fait par la parole ; priver de parole c’est renvoyer dans l’innommable.  J’ajouterai que la parole de gauche doit être de rappeler que les savants n’ont pas le monopole des savoirs.

Simon Lecomte : Tu conclues Le socialisme gourmand par l’éloge du socialisme moral

Paul Ariès : En parlant de morale et pire encore, de socialisme moral, je sais que ne manquerai pas de m'attirer les foudres de tous les gardiens du temple. Mais je suis convaincu  que face aux projets fous du capitalisme vert d’adapter la planète et l’humanité aux besoins du productivisme, nos vieux mots d’ordre économicistes et amoraux seront de peu de poids pour s’opposer aux modifications du climat, à l’exploitation des gaz de schiste, au transhumanisme, etc. Nous avons besoin de partager une vision de l’humanité et une conception de ses rapports à ce qui l’environne qui relève bien du jugement moral et pas seulement des connaissances scientifiques. Si le capitalisme était capable de contraindre les humains à intérioriser son imaginaire amoral, alors nous ne serions déjà plus capables de nous y opposer. Ni en Grèce, ni en Afrique ni en France. Sur quoi prendre appui ? La politique du Bien vivre peut être considérée comme une politique morale. Cette morale est une morale populaire puisqu’elle satisfait le plus grand nombre (les 99 %) mais aussi parce qu’elle entretient, comme le dit Orwell, avec les gens ordinaires des relations privilégiées. J’ajouterai que ma morale est non seulement athée mais qu’elle est celle des passions joyeuses. Les sentiments négatifs vont trop souvent de pair avec les passions tristes qui sont celles du capitalisme. Ce choix des affects positifs  n’est pas seulement conforme à l’essor des passions joyeuses  qui composent le seul aliment dont peut se nourrir le « socialisme gourmand » mais c’est aussi le plus conforme aux grandes passions des gauches qui ont toujours été historiquement des affects positifs. Je pense à l’amour, au partage, la fraternité contre la repentance, l’ordre, la peur des enfers. La gauche peut prendre les armes mais elle n’est pas guerrière. Elle rêve de concorde. Elle est hantée par la question de la non-violence. La droite, elle, est volontiers violente, militariste, prédatrice (ne serait-ce que dans les rapports économiques et dans sa vision des relations humaines). Les terrains de jeu de la gauche sont peu virils : la paix, le pain, la santé, l’éducation, autant de figures féminines dans son Panthéon qui ne sont d’ailleurs pas tant des allégories que de vraies femmes, des femmes du peuple, des femmes émancipées. Ce dont nous manquons pour nous insurger comme le dit aussi Miguel Benasayag, ce n’est pas de motifs de mécontentements, c’est de la joie nécessaire pour pouvoir se rebeller. Ce qui nous rend impuissants ce sont les passions tristes.

 

 



[1] Gilles Deleuze (avec Claire Parnet), Dialogues, Flammarion, 1995.

22 septembre 2013

Ecologie et chrétienté

Ecologie et chrétienté, théologies de la libération ou retour des droites cathos ?

Christian Terras, directeur de Golias

Paul Ariès, directeur du sarkophage, rédacteur en chef de la revue les Z’indigné €s

Texte paru dans le trimestriel les Z'indigné(e)s 

 

 

 

Nous lançons un appel solennel aux chrétiens et aux athées contre la menace que fait peser la droite chrétienne contre l’écologie politique et les milieux de la décroissance. Cette opération a plusieurs visages dont celui des « Chrétiens Indignés » (sic) dont le nom fait écho à l’appel à l’indignation lancée par les milieux traditionnalistes dans le domaine des arts. On retrouve comme principal pivot de cette opération Patrice de Plunkett, ex-rédacteur en chef du Figaro-magasine reconverti dans une posture « ni droite ni gauche » mais toujours « papiste ». Lui sont associés des personnages comme Vincent Cheynet (rédacteur en chef de la Décroissance) ou Jacques de Guillebon (rédacteur en chef du bulletin traditionnaliste la Nef). Nous nous élevons en tant que Chrétiens et qu’athée contre ce mauvais coup porté à l’écologie. Nous ne pouvons laisser entendre que l’effondrement environnemental serait la conséquence du matérialisme ou que la solution serait la mal-nommée doctrine sociale de l’église, bras armé du Vatican pour combattre les socialismes au nom d’un libéralisme régulé, ceci depuis 1891. Cette confusion est non seulement stupide mais intéressée. Elle est stupide car elle oublie que le capitalisme est l’enfant de la chrétienté. Les travaux de Colin Campbell après ceux de Max Weber permettent pourtant de comprendre en quoi le processus de formation de la société productiviste trouve son origine au XVIIe siècle avec l’apparition du consommateur aux côtés de l’entrepreneur. Alors que le productivisme relève de la branche calviniste rigoriste, le consumérisme dérive de la branche piétiste sentimentaliste. Cette confusion est intéressée car elle vise à faire de la question écologique un nouveau terrain d’évangélisation du peuple. La question n’oppose pas pourtant matérialisme et spiritualité mais plusieurs matérialismes entre eux comme diverses spiritualités entre elles : il existe ainsi deux manières de croiser la religion chrétienne et l’écologie politique soit en allant du côté des « théologies de la libération » et donc du « Buen vivir » socialiste, soit en retournant à une conception rigoriste, intégraliste, fondamentaliste, bref cléricale de la religion. On débouche, dans le premier cas, sur l’option préférentielle pour les pauvres et une alliance avec les gauches et, dans l’autre cas, sur l’orthodoxie vaticane et les droites chrétiennes. Ce n’est pas un hasard si l’Amérique du Sud qui a été le berceau des théologies de la libération (20e siècle) est aussi celui de ce socialisme du Buen Vivir (21e siècle). A défaut d’épouser les théologiens de la libération engagés dans les mouvements d’émancipation comme Léonardo Boff, Frei Betto, Hugo Assmann, D Helder Camara, cette « droite catho », objectrice de croissance, finira par ressembler aux dames patronnesses du XIXe siècle qui enseignaient au bon peuple comment se passer de tout ce qu’il lui manquait (sic).Nous, militants chrétiens ou athées, sommes donc du côté des théologies de la libération lorsqu’elles soutiennent que le rejet du capitalisme n’est pas seulement celui du libéralisme dérégulé, mais celui d’un système de classe injuste, celui d’un « péché structurel » ; Nous, militants chrétiens ou athées, sommes du côté des théologies de la libération lorsqu’elles dotent l’écologie d’un contenu de classe, lorsqu’elles affirment une « option préférentielle pour les pauvres » qui n’est pas qu’une façon d’aimer ou d’aimer les pauvres mais de lutter avec eux, lorsqu’elles prônent la solidarité avec les luttes d’auto-émancipation des peuples ; nous, militants chrétiens et athées, sommes du côté des théologies de la libération pour dire que l’ennemi ce n’est pas l’athéisme mais l’idolâtrie (la Richesse, l’Identité nationale, la mystique de l’Etat, l’essentialisme sexuel, la défense de « la civilisation chrétienne occidentale») ; nous, militants Chrétiens et athées, sommes du côté des théologies de la libération pour affirmer le primat de l’élément anthropologique sur l’élément ecclésiologique, de l’élément critique sur l’élément dogmatique, ; du social sur la personne ; nous, militants chrétiens et athées,  sommes du côté des théologies de la libération pour dire que l’idée du socialisme ne peut pas plus être jugée par les pratiques du « socialisme réel » que le christianisme ne saurait s’identifier avec la Sainte Inquisition ; nous, militants chrétiens et athées, sommes du côté des théologies de la libération pour dénoncer le lien entre le style de pouvoir impérial dans l’église, l’autorité hiérarchique, la tradition d’intolérance et de dogmatisme, le mythe de l’infaillibilité pontificale et les schémas de pensée et d’action qui conduisent à détruire l’humanité et la planète ; nous, militants chrétiens et athées sommes du côté des théologies de la libération pour dire que le paradigme oppression/libération s’applique autant aux classes dominées qu’à la Terre, nous sommes du côté des théologies de la libération pour dire qu’une totale séparation de l’église et de l’Etat si elle suppose qu’il n’y ait pas de parti chrétien signifie également qu’il n’y ait pas de mouvements sociaux chrétiens fussent-ils dans le domaine écologique car le pic du pétrole, la crise de la biodiversité sont les mêmes pour tous, Nous, militants chrétiens et athées, sommes du côté des théologies de la libération pour dire notre refus du retour au catholicisme politique (sous couvert d’un dangereux et hypocrite « ni droite ni gauche ») et pour dire notre refus de tout message qui, sous prétexte de dénoncer l’ultra libéralisme et le socialisme (« le socialisme est un ennemi, le libéralisme aussi » site France Jeunesse Civitas) entendrait imposer un modèle conforme aux lois de Dieu… Nous mettons en garde le peuple chrétien comme nous mettons en garde les mouvements sociaux qui se laissent abuser par les faux-semblants. Car comme le dit l’abbé Guillaume de Tanoüarn (Fraternité Saint Pie X) : « l’antilibéralisme, c’est aussi un thème très ancien de ce que l’on appellera « la droite chrétienne » la plus intransigeante. ». Qu’on ne compte donc pas sur nous pour rejeter la liberté morale, philosophique et religieuse, que l’on ne compte pas sur nous pour faire du combat contre le culte de la croissance et l’illimitisme, une nouvelle « guerre sainte » contre l’athéisme et le matérialisme philosophique, que l’on ne compte pas sur nous pour banaliser les droites chrétiennes sous prétexte d’Union sacrée pour sauver la planète et l’humanité. Nous, militants chrétiens et athées, nous affirmons que les seules lois qui comptent pour la citée sont les lois laïques faites par les hommes en conscience.

n, 73, hiver 2006.

22 septembre 2013

Aide alimentaire ou service public de l’alimentation ?

Aide alimentaire ou service public de l’alimentation ?

texte paru dans Campagnes solidaires,mensuel de la Confédération paysanne, juin 2013

 

La question de l’aide alimentaire prend une importance nouvelle avec le mouvement programmé de « démoyennisation » de la société, du développement du précariat et du chômage de masse. Le nombre de jeunes, de personnes âgées et de familles à se priver sur le plan alimentaire explose. On estime à plus d’un milliard à l’échelle planétaire le nombre de personnes aujourd’hui mal nourries. Plus de 7 millions de français seraient en droit de recourir à l’aide alimentaire, mais dans ce domaine comme dans tous les autres, ce qui domine ce n’est pas la fraude mais le scandale du non-recours aux droits sociaux. Cette population malnutrie est considérée à l’image des pauvres en général comme un fardeau à la charge de la société qui n’en pourrait plus de payer pour une foule d’assistés. La facilité avec laquelle la majorité accepte la casse des aides sociales en est un bon symptôme. J’aimerai montrer qu’un autre point de vie est possible qui transformerait fondamentalement la façon de poser la question de l’aide alimentaire et donc les réponses à apporter à la crise actuelle. J’ai envie déjà de faire un parallèle avec la situation de la restauration sociale (école, entreprise, etc.) longtemps considérée comme le parent pauvre des politiques publiques, alors qu’avec son poids économique (près d’un repas sur trois) elle pourrait constituer un levier politique majeur pour transformer les politiques agricoles, grâce à de nouvelles politiques en matière d’achats publics. Il est évident que si on doit re-municipaliser (et il le faut) la restauration scolaire ce n’est pas pour faire la même chose que les Sociétés de Restauration Collective, mais pour aller vers une alimentation faite sur place, relocalisée, resaisonnalisée, moins gourmande en eau, moins carnée, assurant la biodiversité, etc. Pourquoi ce même raisonnement ne vaudrait-il pas pour l’aide alimentaire ? Des expériences prouvent qu’il est possible de faire de l’aide alimentaire avec des circuits courts mais aussi avec des produits de saison, privilégiant le fait soi même plutôt que des produits tout-faits. D’autres expériences organisées par des Centres sociaux ou des CCAS montrent qu’il est aussi possible de miser sur des savoirs faire populaires pour réapprendre à cuisiner/manger autrement. Je suggère donc de changer notre regard et de ne plus considérer que le mode d’exercice le plus efficace du droit à l’alimentation soit l’aide alimentaire mais plutôt un service public de l’alimentation. Oui, il est possible d’imaginer un service public de l’alimentation et on pourrait même imaginer qu’il devienne un jour gratuit, comme l’école publique, comme la santé publique, comme les transports en commun urbains, les services culturels et même les services funéraires. Il ne s’agirait pas d’un cadeau fait aux pauvres, d’une gratuité d’accompagnement du système qui ne va jamais sans condescendance et sans flicage (êtes-vous un vrai pauvre méritant ou un assisté ?) mais d’une gratuité d’émancipation car fondée sur la construction de « communs » (tout comme l’école), permettant de mettre en œuvre des politiques changeant les façons de  manger donc de produire. Oui, nous devons, pour cela, modifier notre regard sur ceux qui recourent à l’aide alimentaire. Ils ne sont pas les contre-exemples de ce qu’il conviendrait de faire pour que tout aille mieux sur Terre. Les contre-exemples ce sont les choix alimentaires (contraints certes par la publicité et le marketing) d’une minorité qui affament les autres et détruisent la biodiversité et l’agriculture paysanne. Si tant de gens sont affamés, sous-nutris, malnutris, ce n’est pas un problème de pénurie agricole, ce n’est pas un problème de moyens car la planète est déjà assez riche pour nourrir 7 milliards d’humains. L’ONU estime qu’il suffirait de mobiliser 40 milliards de dollars US supplémentaires pendant 25 ans pour que plus personne ne crève de faim et que 80 milliards régleraient la grande pauvreté. Ces 40 ou 80 milliards sont introuvables mais le budget militaire mondial est de 1400 milliards de dollars, celui de la publicité de 800 milliards et le Produit industriel Criminel (argent sale) de 1000 milliards. L’équivalent d’une seule journée de travail mondial exprimé en PIB permettrait de nourrir chacun ! L’aide alimentaire n’est pas du côté de la construction d’alternatives : elle permet aux pauvres de manger la même chose en moins, elle soutient l’agriculture productiviste et la grande distribution… Un service public de l’alimentation pourrait au contraire libérer des territoires pour faire du neuf. L’alimentation des riches c’est aujourd’hui un tiers de la production mondiale gaspillée. Les seuls gaspillages alimentaires nord-américains atteignent 100 milliards de dollars et l’excès de consommation des personnes obèses représente 20 milliards de dollars par an. Un service public gratuit de l’alimentation ? Une utopie réalisable ou une illusion ? Avec la moyenne de consommation alimentaire de l’UE - 27 qui est de 1600 euros par an, rendre gratuit l’alimentation de 60 millions de français coûterait environ 150 milliards d’euros…. soit 4 fois le budget des armées. 

22 septembre 2013

En soutien à l'Alter-Tour

http://youtu.be/F0aifMZtfIQ

22 septembre 2013

Avec Emmaüs-Lescar-Pau

http://youtu.be/Ont-8ZTrfow

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