Cette page est en construction...
Bientôt des centaines de documents originaux
Mouvements lycéens en France...
de l'engagement dans la Résistance aux mouvements lycéens des années 70
en passant par le refus de la guerre en Algérie, au Vietnam et la défense d'Angéla Davis
Mes années lycées
Lycée Jean-Moulin de Lyon
Paul Ariès membre de l'UNCAL depuis juin 1972
Paul Aries secrétaire départemental de l'UNCAL 1975-1976
Paul Ariès Président départemental 1976-1978
Membre du Bureau national 1975-1978
Responsable du Grand Sud Est 1977-1978
Paul Ariès témoigne de son engagement dans les mouvements lycéens et notamment l'UNCAL dans la revue universitaire le Mouvement social.
Voir le film de Goupil :
Mourir à vingt ans
Mourir à trente ans est un film français en noir et blanc de 1982 tourné et réalisé par Romain Goupil.
Le film évoque, avec des images d'époque, le quotidien de militant d'extrême gauche, notamment lycéen, de l'auteur, de 1965 au suicide de Michel Recanati le 23 mars 1978.
In http://quefaire.lautre.net/Histoire-et-programme-des-Comites
Histoire et programme des Comités d’Actions Lycéens (CAL) de Mai 68
À propos de « Les lycéens gardent la parole », 1968, Éditions du Seuil
par
Mai 1968 [ … ] c’est déjà un programme [1]
Au printemps 68, il régnait plus qu’une atmosphère de lutte, qu’un goût de révolte. Chacun, ouvrier, étudiant, lycéen, pouvait s’imprégner de cette même sensation de pouvoir tout changer. Détruire pour reconstruire, guérir ce malaise qui envahissait la jeunesse scolarisée et repenser un système, prendre la parole et la garder, telles étaient les revendications de toute une génération. À la lumière de l’ouvrage Les lycéens gardent la parole, nous nous proposons de revenir sur cette histoire.
Naissance des CAL
Au même titre que leurs aînés, les lycéens, en tant que travailleurs/étudiants en devenir, sont les victimes de l’oppression du système capitaliste, du régime Gaulliste et, en combattent ses manifestations. Dès 1966, avec les comités lycéens « Vietnam », se mettent en place un peu partout les premières structures d’organisation de la contestation politique. Le 13 Décembre 1967, certains établissement parisiens répondent par la grève et la manifestation à l’appel des syndicats salariés, sur la base d’une revendication alors très floue qu’est le retrait de la réforme de l’éducation « Fouchard ». L’année suivante se créent rapidement les premiers CAL. Puis vient le mois de Mai, l’explosion, les CAL se massifient et organisent la grève généralisée de leur milieu.
Peu importe la forme des revendications, c’est leur nature qui nous intéresse. Tout un système fut mis à mal et des commissions furent mises en place entre élèves et professeurs, voire même avec les ouvriers. Il en ressortira un travail étonnamment complet et profond que l’ouvrage en question recueille et synthétise. Mai 68 n’était pas qu’une révolte d’enfants bourgeois, mais bel et bien un projet de société, dans lequel les lycéens jouèrent pleinement leur rôle de futurs travailleurs intellectuels. Lutte des classes, université bourgeoise, exploitation des travailleurs, tout y passa et une page d’histoire s’écrivit sous la plume des très prolifiques CAL. Beaucoup de lycéens d’aujourd’hui diraient que cette histoire est une vieille histoire dont il faut refermer la page, mais ce legs étonnera par son intensité intellectuelle et son actualité frappante.
Spécificités des révoltes lycéennes
Cette histoire, ce livre, est celui de ceux qui ont lutté au sein de ces comités, véritables usines de réflexion et d’action, de leurs occupations de locaux, de leur rencontre dans un cadre nouveau avec les adultes qui les entourent. Loin de vouloir glorifier leur action ou leur capacité de révolte, rendons leur simplement leur du et apprenons d’eux, à l’heure où la révolte lycéenne s’accentue d’année en année.
Comme base de la société future, les élèves ont remplacé les professeurs, combattu les oppressions qui étaient les leurs mais pas seulement. La condition des lycéens est au confluent de tous les aspects du régime d’alors. Soumis à une oppression familiale qui freine ses aspirations de liberté politique, il s’en va le matin blasé de la cellule familiale et revient englué dans sa soumission à l’Etat et au professorat. Formaté par les tenues obligatoires, les tabous sexuels et la culture du passé, tenu prisonnier de l’ennui de ses cours et de sa situation sociale reproduite par l’école, le lycéen prend conscience à cette époque de sa condition d’exploité en devenir. Mais il y a également une conscience du tout qui se forge alors : plus qu’un chef d’établissement révoltant (souvent à juste titre) c’est au système qu’ils s’en prennent. Aux côtés des étudiants et des ouvriers, ils apprennent la lutte collective, face à la même oppression, face à la même milice. Chacun connaît la suite de l’histoire du « mouvement de Mai »…
Revendications en trois axes
Dès le 6 Mai débutent les premières occupations d’établissements, la massification des CAL (ou CAET dans l’enseignement technique) et le début du travail des commissions. Des programmes à l’administration, en passant par les méthodes pédagogiques, les rapports s’entassent, venus de Paris comme de province, et mettent en lumière trois points qui paraissent primordiales :
Les rapports sociaux au lycée construits autour d’un professorat élitiste, d’une administration oppressive et d’élèves soumis. Sans se surestimer, les « jeunes nouveaux administrateurs » des lycées mettent sur pied tout un système où la classe devient un lieu de dialogue, construite autour de petits groupes et aux moyens technologiques novateurs. Le bahut devient autogéré ou cogéré (considérons le système fermé de l’époque : une cogestion ce n’était pas si mal) par ses occupants et des expériences a priori plutôt concluantes se déroulent ici et là.
La finalité de l’enseignement, dans une optique bourgeoise et conformiste. A l’heure où les salariés décrient leurs conditions de travail et où les étudiants veulent transformer l’université, les lycéens réfléchissent sur ce qu’il y a avant, c’est à dire eux. Les programmes ne laissent pas de place à l’esprit critique et aux choix de réorientation volontaire. Les principes de notations et d’examens sont momentanément abolis pour voir pointer une éducation souple, libre.
La liberté d’expression inexistante. Il ne s’agissait là que de revendiquer un état de fait existant : les jeunes veulent être des acteurs politiques et donc avoir des droits politiques. Que les CAL soient reconnus, que soit instauré une véritable « démocratie lycéenne », que les gazettes lycéennes entrent dans les cours de récrés… les idées fusent comme autant de colères contenues.
Et aujourd’hui ?
Des années plus tard, certaines de ces revendications seront mises en place, souvent dénaturés comme les élections de délégués, manquants de moyens comme pour une nouvelle pédagogie. Mais à y regarder de plus près, cette analyse faite à l’époque n’a pas vieilli. Les « lycées-prisons » sont toujours perçus comme tels. L’orientation est toujours une contrainte socialement organisée. L’élève n’est toujours qu’un âne à qui on tend la carotte du Bac. Les réformes se sont succédées, loin sans difficultés, car des mouvements sociaux se sont déclenchés, contre les mêmes politiques, pour ce même projet émancipateur. Ces quatre dernières années auront connu quatre mobilisations (réforme Fillon, CPE, LRU et la mobilisation actuelle) dans les lycées. À nouveau furent remises en cause les conditions d’études et la philosophie de notre éducation. Repenser ce contre quoi nous nous battons est une nécessité. Ce livre, à l’analyse et aux propositions étonnamment intemporelles, nous apporte plus qu’un témoignage historique. Il marque l’ouverture en 68 d’un chapitre qui, complété par 40 ans de luttes et d’espoirs, ne demande qu’à être enrichi une fois de plus. Ces pages se concluent ainsi « Mai 68, […], c’est déjà un programme » qui ne demande qu’à être appliqué. Pourquoi pas maintenant ?
Notes
[1] « Mai 68 […] c’est déjà un programme » est la dernière phrase de Les lycéens gardent la parole.
Sur le site de l'INA
- Paul Ariès, « Requiem pour un syndicalisme lycéen : L'U.N.C.A.L. à Lyon entre 1973 et 1979 »,
- Le Mouvement social, no 168, 1994/3, p. 107-136.
Autre lecture
in syndicaliste.phpnet.org/IMG/doc/CAL.doc
Coordinations et Comités d’Action Lycéens :
L’échec d’une expérience
La politisation de la société à la fin des années 60 va donner naissance à une des organisations de jeunesse les plus fortes dans l'histoire des luttes sociales en France. En effet, nous nous arrêtons à l'histoire des Comités d'Action Lycéens et à leur prolongement. En dehors de l'expérience des Jeunesses Syndicalistes au début du XXème siècle, c'est la première fois qu'une organisation de nature syndicale tente d'organiser massivement les jeunes.
A la fin des années 60, la jeunesse prolétarienne est loin d'être majoritaire dans les lycées. Mais elle s'y retrouve de plus en plus et y subit la sélection sociale. L'accès à un diplôme ne signifie plus automatiquement intégration à la bourgeoisie. Bien au contraire la massification des diplômes va rendre encore plus difficile l'ascension sociale. Le mythe du diplôme comme ascenseur social est cassé par la réalité: c'est plus que jamais la culture de classe et les réseaux sociaux et familiaux qui assurent l'accès aux postes de direction des structures capitalistes. Cependant le développement rapide du nombre de collégiens et de lycéens fait due pour certains jeunes prolos, la "formation professionnelle" se réalise désormais hors de l'entreprise, non plus seulement en apprentissage mais aussi dans l'enseignement public professionnel. La scolarisation de la jeunesse ouvrière s'allonge avec la mise en place des Collèges d'Enseignement Techniques (CET) au début des années 60, futurs LEP (198U) puis LP (1986), dans lesquels interviendront les CAL. Mais dans les lycées d'enseignement général, la jeunesse prolétarienne commence, elle aussi, à entrer de façon non anecdotique.
Si les CAL ne sont pas à proprement parlé des organisations ouvrières, leur base sociale étant nettement multiclassiste, leur modèle et leurs partenaires demeurent les organisations ouvrières. Nous verrons donc en quoi ces ambiguïtés, multiples dès la création des CAL, expliqueront largement les causes de l'échec d'un syndicalisme prolétarien dans les lycées.
Une création confuse
Les premiers CAL naissent en 1967 sous l'impulsion des Jeunesses Communistes Révolutionnaires (scission récente des Jeunesses Communistes). Ils se créent dans la dynamique des Comités Vietnam Lycéens qui commencent à politiser certains secteurs de la jeunesse lycéenne de la région parisienne. Le 13 décembre 1967, journée de grève dans les universités et les entreprises, 6 lycées de la capitale sont touchés eux aussi par un mouvement de grève. Cette dynamique va donner naissance aux CAL. Les premières luttes se mèneront sur la question des libertés dans les établissements scolaires. En janvier 1968, deux manifestations sont organisées afin de soutenir un militant exclu de son lycée pour activité syndicale. La lutte débouche sur une victoire partielle. La structuration des CAL va donc s'amplifier, avec entre autre la participation aux grèves de l'éducation du 26 février où les CAL organisent des piquets de grève.
A la veille de mai 68 on peut estimer à une quarantaine le nombre de CAL présents en région parisienne auquel il faut ajouter 32 en province (1). Mais le mouvement va littéralement exploser au cours des "évènements". Dès le 10 mai, les CAL appellent à la grève. 8 000 élèves du secondaire rejoignent donc la manifestation étudiante. Un certain nombre d'entre eux vont participer aux affrontements avec la police durant la nuit. La dynamique de dénonciation de la répression, influencée par les thèses "anti‑autoritaires » très populaires dans les lycées, débouche sur une politisation très rapide de la jeunesse lycéenne. Dès le 20 mai, de nombreux lycées sont occupés. Initiés par les courants révolutionnaires, les CAL deviennent le lieu d'accueil de dizaines de milliers de lycéens dans toute la France. Ils sont regroupés autour de préoccupations le plus souvent culturelles et politiques (libertés démocratiques). Mais le déclenchement de la grève ouvrière influence les CAL et leur donne une connotation sociale.
Les CAL servent donc de réceptacle à une jeunesse totalement inorganisée un mois plus tôt. Les préoccupations sont donc très diverses. Les organisations gauchistes, à l'origine des CAL, n'influencent directement qu'une minorité de membres vers une stratégie de politisation radicale. Les débats entre courants philosophiques ainsi que la solidarité avec le Vietnam ont mobilisé des noyaux, à l'origine des CAL. Mais la plupart des lycéens en grève adhèrent avant tout à des revendications culturelles et corporatives. Le discours politique n'est qu'un vernis théorique qui donne une dimension romantique à la lutte. Il ne faut pas pour autant sous‑estimer l'influence du mouvement ouvrier qui est déterminante à partir du milieu du mois de mai 1968. A l'autre extrémité, il ne faut pas oublier que si le poids des JCR et des Jeunesses Anarchiste‑Communistes est primordial dans la création des CAL, le courant chrétien est loin d'être négligeable dès les débuts du mouvement.
Rapidement, les divergences vont donc apparaître. Chaque sensibilité politique va alors tenter d'utiliser les CAL comme outil de constitution d'une clientèle politique. Mais aucune d'entre elle ne va essayer de s'appuyer sur les CAL afin d'élargir cette expérience à toute la jeunesse prolétarienne en formation. Et pourtant le potentiel existe. La jeunesse ouvrière s'est radicalisée. Bien souvent, dans les usines c'est elle qui pousse les aînés à partir en grève bien avant l'appel officiel de la CGT. Les apprentis se politisent rapidement. Mais surtout, les CAL vont avoir un poids très important dans les Collèges d'Enseignement Techniques. Or toutes ces tendances politiques, qui se réclament continuellement du mouvement ouvrier, ne profitent pas de l'existence des CAL pour donner naissance à une organisation syndicale de la jeunesse prolétarienne en formation.
Au contraire, le déchirement interne et les luttes de factions mettent vite un terme à la première expérience des CAL.
Aucune des organisations d'extrême gauche ne veut faire des CAL une structure syndicale ou "pan‑syndicale" (de finalité syndicale). Nous verrons pourquoi. Par ailleurs elles vont donc laisser le terrain aux Jeunes$es Communistes.
Dès le 11 mai, le développement exponentiel des CAL oblige les JC à se rallier et à constituer des CAL. Et au sortir du mouvement de mai il y a une forte attente en ce qui concerne la constitution d'une organisation de masse, structurée à une échelle nationale. Mais tout cela se fait dans la précipitation. Des Assises nationales des CAL sont convoquées pour le 19 juin 1968. Le développement a été trop rapide pour qu'un débat serein s'engage à partir de réflexions approfondies dans les lycées. La logique d'affrontement politique va donc prendre le dessus. La proposition des JC de transformer les CAL en organisation syndicale est affrontée par un front uni de l'extrême gauche. La direction des JC décide alors d'assumer la scission en créant l'Union Nationale des CAL (UNCAL), dissidente.
De l'autre coté, la JCR impose son hégémonie sur la majorité des CAL. Mais nous verrons que dès 1969 la Ligue Communiste, issue des JCR, choisit de dissoudre les CAL afin de privilégier une apparition plus visible de son propre appareil.
Le développement de l'UNCAL
Le Mouvement des Jeunesses Communistes de France met finalement beaucoup de forces dans le développement des CAL. Et le mouvement d'implantation dans les lycées est globalement une réussite. L'UNCAL dispose de bastions sur la région parisienne et marseillaise mais aussi au delà. Dès 1971, l'UNCAL bénéficie d'une réelle implantation nationale.
Les CAL vont avoir deux types d'intervention. Pendant les mouvements de grève nationale, que cela soit au début de l'année 1971 pour protester contre l'incarcération du lycéen Gilles Guiot ou au printemps 1973, les CAL tentent d'apparaître comme des comités de lutte regroupant le maximum de grévistes. Ce qui est bien différent de l'activité de tous les jours où les CAL organisent avant tout des militants ou les sympathisants. Mais jusqu'au printemps 1976 des luttes nationales massives éclatent chaque année (la réforme Fontanet en 1974 et celle d'Haby en 1975‑76), ce qui maintient une dynamique quasi permanente.
Et dans ce cadre, il est intéressant d'analyser le rôle des CAL car il est très contradictoire. En 1968, les CAL jouaient pour ainsi dire le rôle de coordination où se retrouvaient tous les lycées mobilisés. Dès l'année suivante le CAL n'est plus qu'une organisation pan‑syndicale mais ne regroupant de fait qu'une sensibilité politique, même si ç 'est la plus puissante. Les militants catholiques et modérés qui ont rejoint les CAL en mai 68, ne suivent pas longtemps les JC dans leur projet d'UNCAL.
Ces 4 années de mobilisations sont marquées par la création de coordinations nationales dominées par l'extrême gauche (principalement Ligue Communiste, AJS‑OCI, LO et libertaires). Toutes ces composantes se retrouvent dans leur hostilité à l'UNCAL, perçue comme une organisation stable et menaçant donc la stratégie des "comités de lutte". II n'est pas faux que dans de nombreuses villes, la création de l'UNCAL soit due aux consignes des Jeunesses Communistes. Dans les luttes, les JC sont constamment marginalisés par les lycéens influencés par l'extrême gauche. Pour les JC, l'UNCAL devient donc un moyen d'apparaître dans la lutte de façon active (2) et d'éviter la marginalisation dans les coordinations. Mais nous verrons que les logiques de manoeuvres politiques n'expliquent pas à elles seules l'apparition de l’UNCAL. Il y a, en effet, une vraie logique syndicale dans la création de l'UNCAL.
Dans les grandes mobilisations lycéennes de printemps, l'UNCAL tente de s'imposer dans les coordinations, et elle y arrive plus ou moins. Mais le poids de l'UNCAL doit en fait beaucoup plus à son activité permanente dans les lycées, en dehors de ces « temps chauds ».
La plupart des militants de l'UNCAL, eux‑mêmes fils ou filles de cégétistes, héritent de la culture syndicale. Dans les lycées une des principales activités va consister à lutter contre la répression et à protéger les militants. Les exclusions pour activité politique sont alors très nombreuses dans les lycées. L'UNCAL va réussir, par un travail prolongé, à lutter efficacement contre la répression. P. Ariès (3) fait remarquer que les militants ne sont pas exposés de façon maladroite (comme c'est parfois le cas pour ceux de l'extrême gauche). C'est surtout en menaçant les proviseurs de campagne de dénonciation publique que les CAL arrivent en 1977 et 78 à préserver leurs militants de la répression.
L'UNCAL va aussi maintenir son implantation grâce à ses « semaines d'action » et ses « journées de luttes ». Beaucoup convergent d'ailleurs avec les dates de grève des organisations syndicales ouvrières ou des fédérations de l'éducation sur la base d'une unité de classe.
Sinon, la question des libertés démocratiques et culturelles au sein du lycée sont souvent présentes dans les plate‑formes de lutte. Mais elles sont loin d'être exclusives. Il y a même des journées d'actions sur les questions internationales : Espagne, Vietnam, Chili,...
La question des conditions de travail est également omniprésente: assurer le remplacement des personnels d'éducation absents, amélioration de la nourriture et de l'internat, lutte contre la précarité des personnels... si la revendication est populaire, le CAL peut très bien mobiliser des centaines de jeunes dans le lycée, même sur une lutte locale.
Ce sont d'ailleurs ces petites victoires locales qui donnent une envergure et un élan à l'UNCAL. L'UNCAL revendique 700 CAL dans les établissements et 30 000 adhérents. Les vrais chiffres semblent se rapprocher des 20 000 adhérents.
Par contre l'UNCAL n'aura jamais le poids suffisant pour lancer une lutte nationale qui permettrait d'imposer son programme de démocratisation des lycées. Outre le droit de grève, ce « statut du lycéen » reprend des revendications qui s'inscrivent dans la continuité de l'expérience syndicale ouvrière et du contrôle ouvrier. Car si l'UNCAL se bat pour l'élection des délégués de classe et des représentants lycéens dans les Conseils d'Administration elle le fait sur une base syndicale correcte : « l'élément moteur de l'action syndicale, des luttes est le comité. C'est lui qui dirige l'activité des délégués .... Le délégué de l'UNCAL est comme tous les adhérents du syndicat auquel le comité a confié une tâche.. Il doit rendre compte de son mandat en comité. Quelle que soit sa valeur, le délégué ne peut remplacer l'organisation » (4). C'est sur ces bases que des milliers de délégués de l'UNCAL se font élire.
L'organisation syndicale face aux politiques
Nous avons vu que dès 1968 les CAL entrent en crise. Aux Assises nationales de 1968, les JCR se retrouvent de fait à la direction de l'organisation. Mais cela ne va pas durer longtemps. Dès 1969, cette organisation politique décide de dissoudre les CAL. Les trotskistes de la Ligue Communiste estiment que la priorité est désormais d'organiser l'avant‑garde révolutionnaire. la LC (comme son courant international à l'époque) a théorisé la situation comme étant révolutionnaire (Mai 68 comme répétition générale). Cette politique anti‑syndicale au niveau lycéen à la sortie de Mai 68 s'est retrouvée dans l'UNEF (i1 y aura le même débat d'ailleurs concernant les comités de soldats: des comités larges, à vocation syndicale, ont été délibérément cassés pour être transformés en comités rouges !). Les CAL pourraient également faire de l'ombre aux Comités Rouges Lycéens lancés comme satellites de la LC-JCR.
Cette logique n'est pas propre à la Ligue Communiste. La plupart des organisations gauchistes s'alignent de fait sur une logique d'avant‑garde de plus en plus marquée. Cette ligne politique est traditionnelle dans la plupart des partis d'extrême gauche. Mais après 1968, il est tentant de délaisser l'organisation des travailleurs, de tous les travailleurs, pour se centrer sur un travail plus rapide et plus "payant": recruter "l'avant‑garde large" issue des grèves de mai 68. Ailleurs on l'appelle « couches radicalisées »; « gauche ouvrière »; « frange révolutionnaire »... Mais pour influencer et conquérir "l'hégémonie" sur ces secteurs radicalisés la tentation va être à la surenchère et ce au détriment du travail de masse, syndical et persévérant à la base. On aurait pu croire que cette délimitation entre la masse des lycées et l'avant‑garde se serait fait au nom d'une rigueur de recrutement social. Il n'en est rien, bien au contraire. Si l'organisation lycéenne de masse est liquidée ce n'est absolument pas pour faire émerger une nouvelle organisation destinée aux jeunes prolo. La sélection se fait uniquement sur le discours et la radicalité d'action.
Très rapidement toutes les sensibilités gauchistes souhaitent la liquidation des CAL. L'implosion se produit en mai 1969 lors du congrès national.
D'ailleurs, dès la retombée de juin 1968, les CAL sont de fait en crise. Leur direction révolutionnaire n'arrive pas à leur donner des objectifs immédiats. Les CAL se referment sur eux, isolés chacun dans leur lycée. Aucune sensibilité politique ne va jouer le jeu d'un syndicat lycéen ou d'une organisation syndicale de jeunes travailleurs. Les anarchistes, organisés autour des Jeunesses Anarchistes Communistes et des situationnistes, montent une opposition interne en février 1969. Mais lorsqu'au congrès national la LC quitte le bureau national, ils s'opposent immédiatement aux militants autogestionnaires du Mouvement Révolutionnaire. Le glissement du mouvement libertaire vers les classes moyennes se confirme. La composante ouvrière du mouvement libertaire, représentée par l'Alliance Syndicaliste Révolutionnaire, recrute très peu de jeunes scolarisés. Ceux‑ci s'orientent vers les groupes ultra‑gauche (OR A, OCL. situ....). Là aussi la priorité est désormais de dégager une frange activiste se retrouvant dans une politique d'actions radicalisées, fractionnées et souvent groupusculaires. Lors des luttes lycéennes de 197‑75, le mouvement libertaire, très influent se sépare et constitue sa propre "Coordination lycéenne anti‑autoritaire". C'est la ligne également suivie par la quasi totalité des groupes mao.
Il en est de même des sensibilités trotskistes. Nous l'avons vu pour la JCR‑LC et l'AMR ("pablistes").
Les autres courants, qui se réclament d'une expérience syndicale (OCI) ou "ouvriériste" (LO) n'arrivent pas à définir un;. stratégie cohérente. Nous le verrons avec l'exemple de la grève des LP en 1979‑80. Il y a bien une volonté de construire une organisation qui se réfère au syndicalisme. Mais lorsque celle ci entre en contradiction avec la logique de construction du parti d'avant‑garde, le choix est vite fait ! On la liquide !
Malgré son discours syndical hérité du syndicalisme‑révolutionnaire, le PC aura finalement la même politique de sabordage à l'égard de l’UNCAL. Au début de l'année 1973, les JC sont sur le point de saborder les CAL mais l'explosion lycéenne va être telle, que l’UNCAL est finalement maintenue afin de prévenir un retour en force des gauchistes dans les lycées grâce à leur utilisation des coordinations. L'UNCAL est donc finalement lancée comme organisation syndicale permanente et nationale. Elle dispose du soutien des UD CGT, ce qui n'est pas rien au niveau matériel et moral.
Mais cette activité permanente des CAL va finir par créer une mentalité syndicaliste de plus en plus autonome et développer les contradiction internes au JC. Pour contrer les critiques de ses rivaux potentiels et subissant l'influence de la Charte d'Amiens, les JC sont contraints de défendre publiquement l'indépendance des CAL par rapport aux partis politiques. De plus en plus de militants vont se prendre au jeu de cette indépendance syndicale. Certains privilégient l'action syndicale au point de finir par combattre les pressions des JC et de défendre l'autonomie d'action des CAL (5). Et cette mouvance "syndicaliste", décrite par P.Aries, va être confrontée à une terrible réalité: le renouvellement des militants qu'il faut constamment assurer. Car bien entendu le statut de "lycéen" est forcément provisoire s'il ne s'inscrit pas dans une démarche de classe. Malgré le soutien de la CGT, l'UNCAL se veut une organisation autonome qui doit assumer sa propre activité. Or cela est impossible dans les faits. Les élèves de terminale sont souvent pris par la préparation du bac. Et ceux des deux premières années de lycée manquent souvent d'expérience militante pour stabiliser la vie de l'organisation. L'UNCAL ne survivra donc pas au recul militant de la fin des années 70. La seule possibilité aurait été d'intégrer les lycéens à la confédération CGT, dans le cadre de collectifs de "jeunes" regroupant des étudiants, des apprentis mais surtout de jeunes actifs. Cette organisation aurait d'abord permis de donner une dimension classiste au syndicalisme lycéen, de poser clairement la nature de classe du recrutement, mais surtout de stabiliser la lutte sur le long terme et sur une base plus massive.
Mais cette logique entre en conflit avec les intérêts de l'appareil des JC. C'est au moment où l'UNCAL dispose d'une véritable légitimité politique qu'elle va s'éclipser. La crise des organisations gauchistes‑. qui repose en grande partie sur leur incapacité à avoir assuré une présence continue dans les lycées, laisse le terrain à l'hégémonie de l'UNCAL. Plus personne ne conteste sa légitimité. Mais elle dérange les appareils politiques et en premier lieu les JC. C'est donc plus par fragilité interne, que par hostilité extérieure que l'UNCAL s'éclipse. Les Unions Départementales CAL disparaissent progressivement les unes après les autres par manque de militants. Les JC dissolvent à la fin des années 80 ce qu'il reste des CAL.
Comme bien souvent, les syndicalistes n'ont pas réussi à maintenir un suivi organisationnel. S'ils ont réussi dans certaines villes à s'affranchir politiquement des appareils philosophiques, les syndicalistes lycéens n'ont pas réussi à s'affranchir dans la pratique. La culture syndicaliste n'est pas encore assez ancrée dans la jeunesse pour permettre un renouvellement des militants. Les schémas sociaux‑démocrates ou gauchistes demeurent hégémoniques chez la plupart des jeunes militants. Dans la jeunesse lycéenne, tentée par les idéologies romantiques on est plus attiré par l'action philosophique que par la lutte des classes. C'est en grande partie du à la séparation sociale entre les lycéens et leurs camarades actifs ou apprentis. Cette division est légitimée par la CGT qui refuse de syndiquer les lycéens et les étudiants.
Nous allons voir que les lycéens du professionnel auraient pu servir de lien entre les différents secteurs de la jeunesse prolétarienne. Mais là aussi la division sera de mise.
Dans les CET
Dès mai 1968 les élèves des CET se dotent de leur propre organisation, il est vrai reliée aux CAL: Les Comités d'Action de l'Enseignement Technique (CAET). Outre les revendications démocratiques et matérielles, une revendication ressort très régulièrement des plate‑formes revendicatives des CAET: l'organisation de stage en entreprise afin de relier le monde scolaire à l'entreprise. Il faut bien comprendre que cette revendication naît dans un contexte social très particulier: en pleine grève de masse où la culture livresque est contestée au nom d'une idéologie prolétarienne hégémonique. Bien entendu ces stages sont proposés sur la base du contrôle ouvrier, en lien avec les sections syndicales des entreprises. Mais dans le contexte du recul social des années 80 ces stages vont prendre un sens totalement différent, d'autant plus que les pratiques de contrôle ouvrier s'effritent.
Les CAET mettent aussi l'accent sur la reconnaissance des diplômes par les conventions collectives ainsi que la constitution de filières techniques en bac et en classes préparatoires. On retrouve aussi un renforcement ou la mise en place d'enseignements généraux (6).
Outre l'augmentation du nombre de bourses d'étude, les CAET demandent aussi le retrait des patrons de toutes les commissions scolaires et entre autre des jurys. Il est également demandé la diversification des filières de formation ainsi que des ouvertures de sections afin d'éviter la sélection et la gestion de la formation selon les intérêts patronaux.
Cette première intervention des collégiens des CET va déboucher sur une politisation de cette jeunesse prolétarienne en formation. Lors de la lutte lycéenne de 1973 pour le rétablissement des sursis militaires, les élèves vont d'ailleurs être les premiers à partir en grève. Mais rapidement leurs revendications sont noyées dans celles des lycées. Les élèves des CET constituent donc leur propre coordination. Cette séparation est également justifiée par une culture de classe qui est courante chez les jeunes prolos des CET: la méfiance à la l'égard des lycéens. Mais cette coordination autonome a aussi pour objectif de défendre à nouveau des revendications spécifiques comme la reconnaissances des DUT par les Conventions collectives. Les élèves les plus motivés sont ceux de BEP pour qui l'accès à un diplôme plus valorisé ne débouche par sur une reconnaissance (les BEP n'ont jamais été reconnu par les Conventions collectives). Cette revendication revient donc constamment dans les luttes des CET et permet de faire un lien direct avec les travailleurs en activité sur la question du droit à la formation professionnelle.
Il existe donc une base d'appui réelle pour la création d'une organisation syndicale dans les CET, pouvant déborder sur la syndicalisation de lycéens sur une base de classe. Il y aura bien deux tentatives après la grève de 1973 mais elles se construiront sur des bases ambiguës.
La grève des LEP de 1979‑1980
A la rentrée 1978 un mouvement de lutte lycéen se développe à nouveau. La coordination lycéenne, construite dans ce cadre, décide l'organisation d'un "Congrès national lycéen". Celui‑ci va intervenir au moment où un combat central se mène dans les Lycées d'Enseignement Professionnel. Dès la fin du premier trimestre des luttes sporadiques éclatent contre l'austérité et ses répercutions dans les lycées. Mais c'est la réforme Beullac qui va concentrer le mécontentement.
La nature de cette réforme s'inscrit dans le cadre d'un plan global de la bourgeoisie pour imposer une modernisation de la gestion de la main d'oeuvre: pactes nationaux pour l'emploi avec entre autre les "stages Barre", développement de l'apprentissage, régionalisation des formations, fractionnement des qualifications en "unités comptabilisables". Initialement, un projet de loi Beullac‑Legendre devait être déposé à l'Assemblée nationale. Mais pour contrer une riposte unifiée des travailleurs, les mesures sont finalement présentées de façon séparée, ministère par ministère. Dans les CET (qui se transforment alors en LEP) la circulaire Beullac impose aux élèves, "à titre expérimental", des stages en entreprises. Le gouvernement teste la réforme sur 30 000 des 600 000 collégiens des LEP‑CET. Cet aspect "expérimental" ne convaincra pas les élèves de CAP. Les collégiens des LEP, vont entrer en lutte sur tout le territoire.
Il est étonnant de voir à quel point la loi sur la formation professionnelle votée en mai 2004 plonge ses racines dans les premières réformes de 1979‑80. Le discours est déjà le même en 1979 : les stages doivent favoriser l'insertion et "donner une chance à tous ceux gui quittent l'école sans aucune formation". A l'époque, le gouvernement estime à 300 000 le nombres d'élèves qui quittent l'école sans qualification (7).
Le gouvernement va profiter du revirement de la FEN et de son syndicat de l'enseignement professionnel, le SNETAA, pour imposer sa réforme. Autrefois hostile à l'apprentissage, la FEN se rallie alors à la logique de l'alternance (partage de la formation entre Education nationale et entreprises). Ce revirement est justifié par la volonté de lutter contre (apprentissage sur son propre terrain: la formation en entreprise ! Dans les faits, c'est le début du ralliement du syndicalisme enseignant à la logique de collaboration de classe: le partenariat Patronat-Education nationale. Car dans les entreprises, ce ne sont pas les syndicalistes qui organisent les stages mais bel et bien les tuteurs nommés et dirigés par le patron, quand ce n'est pas le patron lui‑même qui assure la « formation » dans les PME.
Pour justifier sa trahison la FEN présente la circulaire Beullac comme une simple mesure d'ordre pédagogique sur laquelle les enseignants devront exercer leur contrôle. Or (introduction des stages amène une réorganisation du service des profs, leur temps de travail étant désormais annualisé dans leur statut. C'est également l'introduction des évaluations en cours de formation, ce qui dévalorisera les diplômes nationaux et leur donnera de plus en plus un contenu local et une reconnaissance moindre (le prof étant tenté de sur‑noter ses propres élèves). Mais, surtout, cela légitime les patrons dans leur gestion de la formation, alors que depuis la Libération l'apprentissage est clairement discrédité par la faible qualité de sa formation. En cédant une partie de la responsabilité des enseignements aux patrons, la FEN prépare la fin de l'enseignement public.
Quant au syndicat SNETP‑ CGT, aussi influent que la FEN dans les CET, il combat au début la réforme, avant de se retrancher sur une position de compromis: "les enseignants doivent être les garants de la qualité des stages". Il est vrai que les syndicats subissent la pression de nombreux enseignants, corporatistes, qui trouvent que les stages les débarrasseront d'un certain volume de travail. Ces stages seront pourtant un des facteurs de déqualification de la main-d'oeuvre et de dévalorisation des LEP. On rentrera alors dans un cercle vicieux. Les enseignants, épuisés par le stress de la gestion de classes difficiles, accepteront l'accroissement des périodes de stages en entreprises afin de "se reposer". Même si ces périodes désorganisent un peu plus le travail pédagogique et favorisent donc l'instabilité des cours. C'est au cours de ces années que le statut des professeurs de l'enseignement professionnel est requalifié par le Ministère, mais dans les faits l'image des LEP, puis des LP, s'effondre et les conditions de travail se détériorent. Ancrés dans une vision corporatiste de l'enseignement professionnel, les enseignants et leurs syndicats vont participer à la condamnation à mort de l'enseignement professionnel.
En décembre 1979, les CET du Havre sont en grève contre la réforme Beullac. En janvier la lutte s'étend. Dès le 16 janvier, une manifestation, lancée par l’OCI, regroupe plusieurs centaines de collégiens à Paris. En parallèle, une coordination des lycées se monte à Jussieu le 23 janvier. Elle décide d'une manifestation centrale pour le 30 janvier; L'OCI maintient son réseau et constitue dès le 26 janvier un "Comité central de grève" avec des délégués d'une trentaine de lycées. L'OCI appelle pour le 29 janvier à sa propre manif. La direction de l'OCI va avoir une lourde responsabilité dans la division du mouvement. Car le mercredi 30 janvier une tentative de fusion des deux coordinations est tentée mais l’OCI refuse et quitte la réunion avec ses délégués pour maintenir son propre comité de grève qui se réunit dans les locaux du Parti. Nous verrons à quelle fin.
Le 5 février à Paris, ce sont 6 000 collégiens d'une soixantaine de LEP qui manifestent alors que la manifestation de l’OCI en regroupe deux milles à un autre endroit de la capitale.
Cette grève fait peur à tel point que dans plusieurs établissements scolaires la police intervient pour arrêter des grévistes. Il y aura des dizaines d'arrestations et des matraquages.
L'impossibilité de construire l'unité et l'attitude complaisante des syndicats enseignants et de la CGT expliqueront pour une grande partie la défaite de la lutte de 1980. Là où le mouvement a été le plus fort, des stages sont suspendus ou reportés. Mais l'année scolaire qui suit voit un doublement du nombre de lycéens stagiaires (60 000). Comme d'habitude les organisations gauchistes sous‑estiment l'impact de la défaite. Il est vrai qu'elles ont fait le plein de nouveaux militants. Pourtant la défaite est bien réelle et l'on peut se demander quel est l'intérêt d'adhésions à des organisations révolutionnaires qui n'ont pas su offrir des perspectives victorieuses. Comme bien souvent il n'y aura pas de bilan tiré et la radicalisation momentanée de la jeunesse ouvrière en formation ne se prolonge pas dans la durée. Privilégiant les déclarations verbales et sous‑estimant l'importance de l'organisation des masses, les partis d'extrême gauche annoncent une nouvelle mobilisation à la prochaine rentrée. Mais comme par hasard, cette mobilisation ne prendra pas.
Une occasion historique a été perdue. Les jeunes des LEP se sont massivement mobilisés sur une revendication qui posaient clairement leurs intérêts de classe face à ceux des patrons. La question des stages (et des sous‑contrats de travail) et de la qualification sont directement posés. Cette dernière revendication permet d'établir un lien direct avec les intérêts des travailleurs actifs. Pour que la lutte soit victorieuse il fallait donc un lien direct entre ces deux secteurs du prolétariat. Cette organisation aurait du être une organisation syndicale de jeunesse, et si possible adhérente à la CGT.
Il n'en sera rien. Il n'y aura pas de continuité et en quelques années la présence militante va s'effondrer dans les LEP. Le positionnement de la direction CGT a discrédité la confédération auprès des jeunes. Les différentes organisations gauchistes ne se remettent pas en cause et elles subissent rapidement les conséquences de l'intégration du mouvement syndical mené par la socialdémocratie. Les avant‑gardes ont une influence à la marge sur le mouvement ouvrier. Sans stratégie syndicale autonome, limitée à une logique de lobbying, elles subissent le reflux du mouvement ouvrier, que cela soit dans les entreprises, comme dans les LEP.
Les factions politiques contre le syndicalisme de classe
Ce mouvement des LEP de 1979 aura été l'occasion parfaite pour construire une organisation syndicale de la jeunesse ouvrière.
Après avoir combattu pendant 10 ans toute forme de syndicalisme dans la jeunesse scolarisée, les JCR se rallient, dans le cadre du Congrès national lycéen de 1979, à la perspective d'un "syndicat de lycéen". Il est vrai que le mythe de "l'avant garde large" commence à ne plus trop correspondre à la situation sociale de la France. La Ligue Communiste Révolutionnaire n'a pas réussi à s'affirmer comme direction politique des nouvelles couches radicalisées. Le parti, les JCR, tout comme les satellites ressemblent d'avantage à des passoires qu'à des organisations de masse. Les JCR sont dans tout ce qui bouge mais l'implantation prolétarienne stable est réduite à sa plus simple expression. Une réorientation stratégique semble donc s'imposer afin d'inscrire l'influence de la LCR dans la durée.
Cette évolution peut paraître d'autant plus positive que cette sensibilité trotskiste commence à réduire les mots d'ordre démocratiques au profit de revendications de classe: "contre l'austérité, pour le droit à l'emploi et le droit à la formation" (8), pourtant la plupart des étapes transitoires sont toujours marginalisées, voire refusées. Les Cercles Barricades (futures JCR reconstruites) combattent par exemple les propositions de représentation des élèves dans les Conseils d'Administration, forme de contrôle ouvrier revendiqué par certains secteurs lycéens. Cependant, l'évolution syndicale est sensible. Mais ce revirement est partiel et apparaît comme largement opportuniste. Les JCR ne bénéficient donc pas d'une position de force afin de matérialiser leur projet de syndicat lycéen. La lutte dans les LEP va être l'occasion de créer une Coordination Permanente Lycéenne en février 1980, qui se veut de nature syndicale. Mais les JCR n'ont pas de véritables partenaires pour faire
vivre ce projet. Il y a bien les CCA ( trotskistes « pablistes ») et les très groupusculaires MJS, mais tout ceci est bien faible. On peut aussi se demander si la tactique est clairement comprise par les militants de la JCR. Est‑elle d'ailleurs cohérente ? On peut en douter, ne serait ce qu'avec le nom choisi: un syndicat qui s'appelle "Coordination permanente" ! Le journal des JCR se félicite que les "comités locaux" de la Coordination Permanente Lycéenne soient "indépendants" ? Cette confusion n'est pas la meilleure façon de faire comprendre ce qu'est un syndicat à des jeunes qui sont en outre sous l'influence des tendances gauchistes. En fait ce repositionnement a surtout une logique interne (9).
Lutte ouvrière dispose d'une implantation plus nette dans les CET. Son discours qui se veut ouvriériste a été suivi d'une tactique d'implantation dans les CET, autour d'une structure pour la moins étonnante: "Ceux du Technique". Le poids de LO dans la coordination du technique en 1973 lui a permis de transformer celle‑ci en une nouvelle organisation: « Ceux du Technique ». Mais c'est avant tout un bulletin et aussi un satellite organisationnel de LO, un comité large regroupant les sympathisants. "Ceux du Technique" n'est pas véritablement structuré au niveau national et son intervention est avant tout théorique et verbal. Il est vrai qu'il n'y a pas besoin de structuration puisque ce « comité » sert avant tout de couverture pour le recrutement de futurs militants d'avant garde.
Mais LO et sa branche "Ceux du Technique" vont se lancer intensément dans la lutte de 79‑80.
En 1979, l'OCI (et sa branche jeune l'AJS) est certainement une des organisations d'extrême gauche qui a l'expérience syndicale la plus marquée. Cette expérience, développée au sein de FO, s'est conclue par la prise de pouvoir dans l'UNEF mais surtout par sa reconstruction dans les universités. Plutôt que de céder à l'agitation en direction de toutes les luttes de société, comme c'est le cas pour la majorité des organisations gauchistes, l'OCI‑AJS définit des axes d'intervention durables, avec une dynamique de nature syndicale. C'est ce qui explique pourquoi son intervention frileuse en mai 68 ne va pas l'handicaper longtemps. En mai 68, l'AJS n'existe pratiquement pas dans les lycées et peu dans les facs. Dix ans plus tard, son poids est énorme, incontournable dans les facs mais aussi dans les LEP. C'est ce que va démontrer la grève de 1980.
Et pourtant, cette expérience syndicale n'est pas appliquée sur le terrain des LEP. I1 est vrai que la situation politique n'est plus la même. L'OCI vise à atteindre les 10 000 militants afin de s'imposer dans le cadre de l'Union de la Gauche. Le contrôle des organisations de masse n'est pas la priorité. Il faut au contraire orienter les nouveaux militants vers le parti. II faut également confirmer son poids hégémonique au sein du mouvement révolutionnaire.
L'OCI vient de provoquer une scission au sein de la LCR et des JCR. Les dissidents organisés au sein de la Ligue Communiste Internationaliste vont fusionner avec l'OCI. A cette occasion est créée l'Organisation de la Jeunesse Révolutionnaire. L'OJR va alors être présentée comme le débouché logique de la lutte contre la réforme Beullac. Il est étonnant de voir la façon dont le journal du Comité Central de grève se transforme subitement en journal de l'OJR. De même, dans de nombreux établissements, la grève est gérée par des "comités de luttes‑OJR". La démarcation entre organisation politique et comité de lutte est volontairement gommée afin de faciliter l'intégration des jeunes grévistes à l’OJR.
Une fois l'OJR constituée et la lutte contre la réforme Beullac perdue, cette sensibilité ne va rien trouver de mieux que de constituer une "délégation permanente de l'assemblée nationale des délégués de classe", dans laquelle se retrouvent quasi exclusivement des délégués de l’OJR. En concurrence avec l'UNCAL et la Coordination Permanente des LEP (proche de la CGT), cette nouvelle structure officialise une division totale des jeunes des LEP.
Les organisations proches du PC vont jouer un rôle très important dans cette lutte. Il est vrai que l'enjeu des CET a été ciblé par l'appareil CGT en 1973. Il est hors de question de laisser les jeunes prolos des CET à l'influence de la propagande gauchiste. La CGT s'est donc lancée après la grève de 1973 dans la création d'une Coordination Permanente des CET. Cette structure pan‑syndicale est soutenue directement par les profs CGT, majoritaires dans les CET. Lorsque éclate la grève de 1979‑80, cela fait déjà 4 ans que la CP‑CET est active. Les plates‑formes revendicatives de la CP avancent des points centrés sur la formation professionnelle. Nais elle fait preuve d'une certaine ouverture en ce qui concerne les positions traditionnelles de la CGT: l'avortement et la contraception sont repris comme revendications, tout comme l'égalité des droits pour les filles et les immigrés. Cela s'est parfois fait avec de vives tensions à l'égard de la direction CGT.
La CP subit la pesanteur de la CGT. L'appareil confédéral perçoit davantage la CP comme un lieu de sélection de futurs cadres syndicaux que comme une structure de lutte immédiate. L'objectif n'est donc pas d'organiser de vastes luttes nationales et d'établir une jonction avec la classe ouvrière active. Cette stratégie de fractionnement sectoriel sera donc appliquée dans la lutte contre la réforme Beullac.
Cette expérience va être catastrophique à plusieurs niveaux car le schéma organisationnel adopté par l'appareil confédéral est doublement négatif. Il refuse de faire de la CP une commission interne à la CGT et donc de mettre toute la puissance interprofessionnelle de la CGT au service des lycéens. De plus, l'alignement mécanique de la CP sur l'appareil CGT aura pour conséquence de créer un sentiment de méfiance des lycéens grévistes à l'encontre de la confédération. Les militants d'extrême gauche vont donc pouvoir revendiquer l'indépendance de la CP à l'égard de la CGT.
Conclusion
Une succession de manoeuvres, menées par différents appareils, aura donc pour conséquence de casser dans l'oeuf les nombreuses potentialités des années 70. Non seulement aucune organisation syndicale n'est sortie des luttes lycéennes, et entre autre de celles des CET‑LEP, mais ce sectarisme et ces échecs laissent un goût amer aux anciens grévistes. Dans les années 80, les lycéens sombrent dans une torpeur. Lorsqu'éclate la grève de décembre 1986, à nouveau, les factions politiques implantées dans les facs se mènent une guerre de "direction". L'image du syndicalisme étudiant offre aux lycéens un triste visage de balkanisation. Ces derniers ne servent que de masses de manoeuvre dans des logiques politiciennes qui leur échappent.
Dans les lycées professionnels, la politique de précarisation menée par la bourgeoisie rend les jeunes au dépourvu, sans outils pour la contrer. Les organisations d'extrême gauche et l'appareil CGT ont laissé tombé les LEP pour se recentrer sur d'autres priorités. La CP‑LEP est dissoute par la CGT dès 1980. La décomposition sociale s'attaque en premier aux élèves des LEP. Sans organisation collective, sans repère de classe, l'individualisme inflige de terribles ravages à la jeunesse prolétarienne. Les bonnes âmes peuvent alors s'apitoyer sur "la crise des cités". Les anciens militants d'extrêmes gauche, recyclés en enseignants ou en éducateurs spécialisés, viennent à nouveau encadrer les "jeunes des cités" avec des objectifs nettement moins "révolutionnaires".
1) "Mai 1968, la première phase de la révolution socialiste française", numéro spécial de Quatrième International, juillet 1968 Requiem pour un syndicalisme lycéen.
2) L'UNCAL à Lyon entre 7973 et 1979, Paul Ariès, Le Mouvement social, N°168
3) Idem page IIO 4) idem pagel l2 5) Idem page 117 6) "Les lycéens gardent la parole", l'enseignement technique, CAL, Seuil politique, 1968
7) C'est avec des chiffres deux fois plus bas que le gouvernement Raffarin a justifié l'urgence de la nouvelle réforme de la formation professionnelle !
8) revue Barricades
9) Le "tournant" plus syndicaliste de l'activité de masse de la LCR et des JCR en 79, se retrouve au niveau mondial ("tournant vers (industrie", qui sera un échec) est directement lié aux évolutions des rapports de forces internes entre tendances dans la LCR. Pour continuer à diriger la Ligue, le courant jusqu'alors majoritaire qui a mené toute la politique anti‑syndicale depuis 68 chez les étudiants et les lycéens par exemple, est obligé de faire des concessions à une tendance plus orientée vers le travail de masse de type "syndical", de trouver un accord, pour laisser passer le vent. Cela durera quelques années, et puis de nouveau retour vers la logique des "avant‑garde larges" version années 80.
1971 : l'affaire Guiot et la circulaire Guichard
1973 : contre la loi Debré
1974 : contre la réforme Fontanet
1975 et 1976 : contre la réforme Haby...
"Au printemps 1973, les lycéens se mobilisent contre la suppression des sursis militaires décidée par la loi Debré. Cette loi de réforme sur le service national, promue par le ministre de la Défense nationale, Michel Debré, avait été adoptée par l'Assemblée nationale, le 10 juin 1970. Elle prévoyait notamment l'abrogation des sursis pour études au-delà de 21 ans, proposition faite par la Commission Armées-Jeunesse, organisme consultatif composé de représentants de l'armée et d'organisations de jeunesse (dont l'UNEF). Le départ au service militaire avait désormais lieu à 20 ans, l'appel pouvant être avancé à 18 ans, et reporté à 21 ans pour les jeunes faisant des études supérieures courtes.
Cette mesure de suppression des sursis n'entrant en vigueur qu'en 1973, ce n'est qu'à ce moment que les lycéens se mobilisent. Dès la fin février, ils se mettent fréquemment en grève dans toute la France, et tout au long du mois de mars occupent leurs établissements et organisent d'importantes manifestations : le 22 mars (200 000 manifestants à Paris) et le 2 avril plus de 500 000 jeunes descendent défilent dans 236 villes (dont 200 000 à Paris). A la crainte de voir leurs études interrompues par le service militaire - qui, depuis 1970 a été réduit à 12 mois - s'ajoute un certain antimilitarisme diffusé par les mouvements d'extrême-gauche, Ligue communiste en tête. S'opposant à la réforme des premiers cycles instituant un nouveau diplôme, le DEUG, les étudiants se joignent à se mouvement.
Finalement, la loi Debré n'est pas abrogée et seuls quelques aménagements sont prévus. C'est cependant la première fois depuis mai 1968, que la jeunesse descend massivement dans la rue. Ce mouvement n'est en outre pas sans effet sur le développement d'une contestation de l'armée par certains appelés en 1974-1975 à travers les comités de soldats."
Christophe Gracieux in http://fresques.ina.fr/jalons/impression/fiche-media/InaEdu01071/la-mobilisation-lyceenne-contre-la-loi-debre-en-1973.html