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Paul ARIES - Site Officiel
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1 septembre 2014

Confrontation de Paul Ariès, Les Z'indigné(e)s et Amar Bellal, revue Progressiste (PCF)

 

 

Le retour de la gauche scientiste

Lettre ouverte de Paul Ariès à Amar Bellal, dirigeant communiste

Texte paru dans le N°13 du mensuel les Z’indigné€s, mars 2014

Non l’éco-communisme ce n’est pas la planification démocratique plus la révolution NBIC

 Le lancement de la revue Progressistes par des dirigeants du Parti communiste a de quoi inquiéter tous les écologistes. Non pas seulement parce que cette revue prend le contre-pied des luttes menées contre les OGM, le nucléaire, les Grands Projets Inutiles Imposés mais parce que tous ces désaccords ponctuels expriment un divorce sur l’évolution même de la technoscience capitaliste, notamment la fameuse « convergence » voulue par les Etats-Unis et les grandes firmes dans le cadre de la révolution NBIC (nanotechnologies, bactériologie, sciences de l’information et cognitives), ils révèlent également un désaccord de fond sur le rapport entre science et société, entre science et démocratie… Lettre ouverte à Amar Bellal, rédacteur en chef de « Progressistes ».

Nous avons choisi de nous adresser à Amar Bellal, rédacteur en chef de la revue Progressistes et l’un des responsables de la commission écologie du PCF… Chacun comprendra que le Front de gauche antiproductiviste, né de l’appel lancé par Paul Ariès et Jacques Testart, soit mort-né au sein du Front de gauche institutionnel mais vit au sein de la société. Non, Amar Bellal, l’éco-socialisme et l’éco-communisme ne seront jamais la planification écologique plus la révolution NBIC, à la façon de Lénine déclarant que le socialisme c’est les soviets plus l’électricité ; non, Amar Bellal, l’émancipation, ce n’est pas l’hégémonie de la raison calculante et l’illusion d’une amélioration infinie de la vie par les techniques.

Face à la gravité de la situation, nous ne nous en tirerons pas en reprenant simplement la vieille et bonne opposition entre la science émancipatrice et le scientisme asservissant, car il s’agit bien de porter le fer jusqu’à la conception même du vivant qu’impose aujourd’hui la science dominante, une science qui réduit la vie à une série d’éléments de base (le gène en biologie, le bit en, informatique, le neurone en sciences cognitive, l’atome) qui seraient aisément manipulables et reprogrammables à volonté. Ce projet pour la science du XXIe siècle, adopté par les Etats-Unis, avec l’intervention forte du courant transhumaniste dont se revendique l’un des deux co-auteurs du rapport final et sous la pression des grandes firmes n’est pas neutre « socialement ». Nous devons donc prendre conscience que la question de l’orientation de la recherche scientifique est plus que jamais fondamentale. Comment la gauche pourrait-elle défendre la même orientation de la recherche que les firmes capitalistes et productivistes ?

La réflexion au sein du Front de gauche est aujourd’hui bloquée par ces clivages, des clivages non dits pour sauver les alliances. La difficulté tient aussi à ce qu’on peut désormais entendre au sein du PCF des positions totalement contradictoires, de la même façon que les communistes du PCF vont aux municipales en ordre dispersé, souvent avec le parti socialiste, même lorsqu’il est le plus à droite, parfois avec les autres forces du Front de gauche, parfois aussi en soutenant des listes citoyennes et alternatives, parfois enfin en ayant des candidats sur des listes opposées… On pourrait à la rigueur se réjouir de cette diversité si elle influait sur les choix de la direction du PCF mais, dans ce domaine comme dans d’autres, cette liberté à la base n‘est possible que parce qu’elle est sans rapport avec les choix stratégiques de l’appareil. Une lecture même rapide de deux organes de presse du PCF, la revue Progressistes et la lettre Communisme et écologie montre qu’existe, sur de nombreuses questions, un grand écart. Le courant qui s‘exprime au travers de la revue Progressistes a choisi de mener une guerre sans merci contre la science citoyenne et appelle aussi à combattre l’antiproductivisme de gauche.

Ecoutons son principal animateur, Amar Bellal : « L’usage facile et répété des slogans contre le « productivisme » à gauche n’est pas vraiment un bon signe : cela relève plutôt d’une méconnaissance de la réalité démographique, et de la sous-estimation des défis que nous allons devoir affronter »… Comme si, cher Amar Bellal, le problème était celui d’un « trop d’humains », comme si aussi la croissance économique, le « toujours plus » était la solution à l’exploitation économique et à la misère des masses. Il faut être riche pour croire encore à cette fable productiviste, comme il faut être un Président des pauvres comme « pepe » Mujica en Uruguay pour dénoncer ce chantage constant au partage de la misère ! Ce n’est donc pas par hasard que l’on croise au fil des pages des textes en défense du nucléaire, des OGM, des nano-technologies, des Grands projets inutiles imposés, de la voiture tout-électrique, de la ligne Lyon- Turin, de la billetique, de l’aéronautique, des transports spatiaux, de l’informatisation généralisée, etc. Ce n’est pas par hasard non plus que la revue prend position contre le scénario Négawatt (cher pourtant au Front de gauche), qui ne serait qu’un partage de la pénurie (sic), ou contre le slogan militant « ni ici ni ailleurs », utilisé pour refuser les GPII sans tomber dans le fameux syndrome NIMBY (« pas dans mon jardin »), slogan pervers (sic) car il masquerait une forme de néo-colonialisme déguisée de préoccupations écologistes (rien que cela). Nous, partisans de l’éco-socialisme, de l’éco-communisme, nous, Objecteurs de croissance amoureux du Bien vivre, nous, militants de la démocratie réelle et participative ne pouvons qu’être inquiets de lire sous la plume d’un dirigeant communiste qu’il ne serait pas normal que n’importe qui puisse s’exprimer sur n’importe quel sujet, comme si la vraie démocratie n’était pas justement de postuler la compétence des gens incompétents : « On peut parler de déchets sans avoir la moindre notion de chimie, commenter le rendement des centrales électriques sans avoir entendu parler du principe de Carnot… »

Et bien oui, on peut aussi parler de répartition de la valeur ajoutée dans l’entreprise sans être agrégé d’économie, on peut même penser, parler et voter sans savoir lire ni écrire… L’éducation populaire c’est aussi de rompre avec ce modèle d’un savoir qui tomberait tout cuit du Ciel… de ceux qui savent. Non, les adeptes du « penser global, agir local » ne sont pas nécessairement des « démagos » et « réactionnaires » (sic). Cher Amara Bellel, tu finirais par nous faire croire que l‘écolo-communisme, dans lequel tu nous souhaites la bienvenue, serait contre les circuits courts, contre le fait de cultiver son jardin, de faire du vélo, de manger bio (sic)… heureusement nous connaissons des milliers de communistes « écolos » qui pensent autrement. Non Amar Bellal et Alain Pagano, combattre les GPII, ce n’est pas choisir le camp de l’austérité (sic), ce n’est pas dire non plus que l’homme et l’écologie seraient incompatibles (resic)… Non, cher Ama Bellal, ingénier et agrégé, on ne peut pas imprimer que le nucléaire civil aurait sauvé 1,84 millions de vie depuis 1971, c’est de même niveau que lorsque la droite et la FNSEA disent que l’agriculture productiviste aurait permis de nourrir la planète. Non, Amar Bellal et Sébastien Elka, l’objection de croissance amoureuse du bien vivre ce n’est pas « le retour individuel et individualiste à la terre », ce n’est pas Vichy. Non, Amar Bellal, la critique légitime du productiviste n’est pas « devenue par glissement la critique de la production sans nuance ». Non, Amar Bellal, l’objection de croissance ce n’est pas « d’accepter tacitement la délocalisation vers d’autres pays pour ne pas avoir à s’embarrasser de ses nuisances » (sic), ce n’est pas davantage accompagner la dévalorisation des métiers liés à la production (resic). Non, Amar Bellal, nous n’aurons pas « toujours besoin de produire plus » comme tu l’écris, nous aurons besoin pour satisfaire les besoins de la population croissante de répartir autrement le gâteau (le PIB) et d’en changer la recette. Si comme le reconnaît avec sagesse la revue Progressistes : « Un des grands débats dans le Front de gauche est de savoir si nous devrons produire plus dans un avenir proche afin de satisfaire les droits humains dans le monde ou si au contraire il suffira d’une politique de sobriété et de changement dans nos modes de vie. » alors ne commence pas par dénaturer les thèses antiproductivistes et accepte d’en débattre.

Non, Amar Bellal, le mépris ne peut tenir lieu de politique… Comment peux-tu renvoyer doctement dans les cordes les militants,qui effectivement ne sont pas tous savants comme toi, mais qui osent cependant défendre des idées émancipatrices ! Je préfère mille fois mes compagnons de lutte à l’agrégé Allègre ! Comment osestu écrire à l’encontre des gens ordinaires que l’inversion des valeurs ferait que « moins on en sait dans un domaine plus on est censé être objectif, « honnête » et indépendant»… Souhaites-tu que le petit peuple fasse encore chapeau bas devant tous les scientifiques et les Académies qui ne trouvaient pas l’amiante et la dioxine si dangereuses ? Nous préférons nous être aux côtés d’ATTAC pour s’interroger : « En se prononçant en faveur des OGM, les académies des Siences de médecine et de pharmacie sont-elles devenues des filiales des grandes firmes multinationales de l’agroalimentaire et de la pharmacie ? ». Allons donc cher Amar Bellal, c’est le même discours que sert le MEDEF à l’encontre des syndicalistes qui osent contester les choix « scientifiques » du patronat…

Cette conception de l’éco-communisme ne peut être celle du XXIe siècle, cette conception est celle d’un socialisme de l’ingénieur qui a tant fait de mal à la gauche et aux milieux populaires, un socialisme de l’ingénieur, digne héritier de Saint-Simon, qui explique l’amour passé des communistes pour le taylorisme et le fordisme, pour les grandes surfaces et les grands ensembles. Ce n’est pas vrai, que cette gauche-là aurait été productiviste parce que la question « écolo » n’aurait pas encore émergé durant les Trente Glorieuses, cette période diabolique que tu sembles regretter mais qui détruisit les cultures populaires, c’est à dire les façons pré (et post)-capitalistes de vivre et qui est responsable de l’effondrement écologique en cours, c’est le stalinisme qui tua tout ce qu’il y avait de pensée antiproductiviste, y compris au sein des communistes russes et… français. Non, Amar Bellal, l’anti-productivisme ne doit pas seulement dénoncer l‘obsession de produire pour accumuler des profits car le productivisme d’Etat de l’URSS n’était pas mieux !

Lanceurs d’alerte contre lobbies

Cher Amar Bellal, en considérant que ’ambition politique sans le progrès technique condamne à partager la pénurie (sic), tu adoptes le point de vue des riches sur la richesse, tu fais tienne la thèse d’une accumulation productiviste sans fin. Cher Amar Bellal, tu condamnes dans la foulée toute idée de « sciences citoyennes » que tu renvoies à la vieille opposition entre sciences bourgeoise et prolétarienne à la Lyssenko, tu diabolises pour faire bonne mesure les associations comme la CRIIRAD (nucléaire), le CRIGEN (OGM), le CRIIREN (ondes magnétiques) qui seraient toutes « pas si respectables que cela » car animées d’une «idéologie de type anti » (sic), tu qualifies leurs travaux de « canada-dry de l’expertise scientifique »… Gilles-Eric Seralini serait bien sûr à brûler vif tout comme les auteurs de l’étude sur l’impact du nuage de Tchernobyl en Corse, tout comme Marc Lipinski, biologiste mais aussi  élu EELV, chargé par le CNRS d’une mission « sciences citoyennes » en son sein…

Cher Amara Bellal je te comprends : tous ces lanceurs d’alerte font de la peine aux lobbies du nucléaire et des OGM en prônant ne« science plus ouverte à la société » ! Tous ces « anti » joueraient, selon toi, sur a peur et la perte de confiance envers les experts – ceux qui ont le monopole de la arole légitime comme disait le regretté Bourdieu… Bref, non seulement les sciences citoyennes marqueraient le retour des « sciences prolétariennes » mais leurs véritables motivations seraient douteuses :les militants antinucléaires ne feraient-ils pas finalement le jeu du lobby du charbon t du gaz (sic) ? La Fondation Sciences Citoyennes serait néfaste en faisant l’inverse du Telethon (cela tombe bien, nous n’aimons pas cette opération) car au lieu de demander aux citoyens de soutenir la Science (à majuscule) elle imposerait à la science de soutenir un effort politique (sic)… Comme si les choix en matière de recherche scientifiques et d’application n’étaient pas aussi politiques… Comme si à Cuba les médecins qui choisissent d’utiliser le TRAMIL (médecine fondée sur le refus des pétro-médicaments) contre le Vidal ne faisaient pas une politique de classe.

Le pire c’est que la revue Progressistes n’est pas isolée dans sa guerre contre les tenants d’une science citoyenne : on rapprochera sa démarche scientiste de celle du lobby « Confrontations Europe », Think Tank fondé en 1992 par des (ex)dirigeants du PCF comme Philippe Herzog (ancien membre du BP du PCF devenu depuis conseiller spécial de l’UMP Michel Barnier) ou Claude Fisher (ancienne secrétaire fédéral du PCF) mais aussi Jean-Pierre Brard (qui a aussi les honneurs de Progressistes) et le dirigeant de la CGT, Jean-Christophe le Duigou… « Confrontations Europe » défend l‘idée d’une Europe productiviste, nucléarisée… Parmi ses soutiens, on trouve le gratin des firmes comme Areva, Google, AXA, le CEA, Sanofi, Véolia, la Sodexo, etc. Parmi ses partenaires des représentants du MEDEF, de la CFDT, de la CGT, de la Fondation pour l’innovation politique, des anciens ministres de droite (Alain Lamassoure) comme de gauche (Michel Rocard), etc. Tout ce petit monde productiviste défend les OGM, le nucléaire, les bio-carburants et n’aime pas l‘idée d’une science citoyenne. Nous avions donc aux Z’indigné(e)s de très bonnes raisons de donner la parole à nos amis de la Fondation Sciences Citoyennes.

 

 

 

Le dirigeant communiste Amar Bellal répond aux Z’indigné€s

qui réécrivent à Amar Bellal…

N° des Z’indigné€s de mai 2014

 

 

 

Le dirigeant communiste Amar Bellal écrit aux Z’indigné(e)s

Les Z’indigné(e)s ont publié en mars Une lettre ouverte à Amar Bellal responsable communiste de la revue « Progressistes », symptôme, disions nous, d’une gauche toujours productiviste sinon scientiste. Nous publions ci-dessous la réponse de notre camarade Amar Bellal.

 

Amar Bellal, rédacteur en chef de Progressistes.

Ce texte est une réponse à la mise en cause ad hominem dont j'ai été la cible, et à travers moi, la revue Progressistes du Parti Communiste Français et les valeurs qu'elle défend. C'est donc sur le fond que je réponds ici en faisant fi des attaques personnelles.

 

Concernant l'énormité des besoins en France et dans le monde, peut-on parler de décroissance ?

Pour l'énergie, on sait qu'en dessous d'une consommation de 2 tep/habitant/an (TEP : TONNE ÉQUIVALENT PÉTROLE, UNE UNITÉ D'ÉNERGIE), le minimum vital n’est plus assuré : minimum qui permet d’avoir l’espérance de vie dont nous bénéficions. Un Français consomme en moyenne 4 tep/an, un Américain 8 tep/an, un Africain 0,5 tep/an. Alors si on passe toute l'humanité à 2 tep/hab, ce qui serait justice, cela fait tout de même une diminution par 2 pour les Français et par 4 pour les Américains : une forte décroissance donc pour ces pays riches. Mais 2 tep/habitant pour une population de 9,5 milliards d'ici 2050, ça fait combien de tep à produire au total ?.… 19 milliards de tep ! alors maintenant, autre question, combien on en produit aujourd'hui dans le monde ? juste un ordre de grandeur ? réponse : 13 milliards de tep... Cela veut dire qu'en 2050, non seulement on devra produire la même quantité d'énergie qu'aujourd'hui mais en plus il faudra sortir 6 milliards de tep en plus : et ce avec le moins d'atteinte possible à l’environnement, et juste pour assurer le minimum vital, le buen vivir comme on nous le répète si bien, pour les milliards d’Africains et d’Asiatiques. Et avec cela on donne encore des leçons de décroissance à la gauche ? Et porter ce discours sur la réalité des besoins, ce serait se mettre du côté d'Areva et de Total ? On se rangerait du côté des scientistes par le simple fait de rappeler ces chiffres lourds de sens et la difficulté que cela sous-tend ? Dans le texte de Paul Ariès, on n’est décidément pas très loin du niveau de la campagne de 2005, où on nous accusait d'être du côté de Le Pen sous prétexte qu'il appelait, comme nous, à voter Non au TCE.

 

Une des idées qui revient à plusieurs reprises aussi dans ce texte est que le PCF serait actuellement productiviste. Mais alors, pourquoi le PCF aurait-il corédigé et cosigné avec Paul Ariès notamment, l’appel du Front de Gauche contre les gaz de schistes par exemple ? Si vraiment le PCF était pour la production infinie, par idéologie, sans se soucier de la planète, ou simplement par bêtise, on serait alors ravi de sortir tous ces gaz de schistes présents sous nos pieds, non ? Et pourquoi alors ses militants, partout en France se battent tous les jours pour le maintien des services publics, notamment le fret ferroviaire, le maintien des lignes et des gares de proximité, la gratuité des transports publics et ce depuis des dizaines d'années ? L’attitude productiviste serait au contraire de laisser le service public voler en éclat et de tout faire passer par la route, non ? Je pourrais citer des dizaines d'exemples, véritables actes de résistance écologique de la part des communistes (voir Progressistes n° 2, téléchargeable gratuitement). Sans doute, nous répondra-t-on que tous ces efforts déployés par des élus communistes, l'appareil du parti et ses dirigeants, c'est justement pour dissimuler la vraie nature productiviste du PCF…

 

A contrario, Paul Ariès semble étrangement épargner Europe écologie les Verts (EELV), participant au gouvernement PS jusqu'à peu, et qui a voté la plupart des lois régressives de ces deux dernières années. Formation connue au parlement européen pour avoir voté toutes les directives de dérégulation et de privatisation des services publics. Et on perdrait son temps avec un énième brûlot anti-productiviste et anti-scientiste, où il n'est question que de PS et de PCF ? Pourquoi cet oubli flagrant d'EELV dans un réquisitoire de plus de 3 pages ?

 

Dans la revue Progressistes, il est vrai que nous faisons appel à de nombreux experts pour aborder un certain nombre de ces sujets difficiles. On nous reproche ouvertement cette démarche, et en contre-exemple on cite le cas des luttes dans les entreprises : selon l'auteur, le cœur et la volonté suffiraient aux salariés pour se mobiliser, « pas besoin de ces experts, agrégés en économie, et de leurs leçons méprisantes ! » nous lance-t-on dans le texte. C'est pourtant méconnaître complètement la réalité du monde du travail et des luttes. En effet, y compris pour cet exemple précis, analyser les comptes d'une entreprise, on a besoin d'experts (qui sont parfois agrégés en économie), et les syndicats sollicitent régulièrement les services de cabinets spécialisés. Nous invitons Paul Ariès, s’il connaît des syndicalistes dans son entourage, à le vérifier.

 

Et c'est bien parce que des experts aux services des syndicats ont examiné les comptes de PSA que de nombreux ouvriers ont compris que des alternatives étaient possibles à la fermeture programmée de leur usine. L’appropriation politique par les citoyens des questions de société, le développement des luttes et de propositions alternatives précises, est à ce prix, sinon on fait dans l'amateurisme ; et l'amateurisme, est tout sauf révolutionnaire ! Et cela est vrai y compris, et même surtout, pour les enjeux d'environnements assez complexes, mêlant des aspects techniques, scientifiques et des enjeux sociaux colossaux.

 

La démarche de la revue Progressistes n'a donc rien à voir avec du mépris, mais participe à éclairer tous les citoyens sur des sujets compliqués, et oui ! avec des experts, aux antipodes des pantins médiatiques vendeurs d’austérité et défenseurs du système.

 

Maintenant je vais parler du monde du travail : mon boulot par exemple. Je suis enseignant dans un lycée en Seine Saint Denis : c'est ce qui me fait vivre, en plus d'être un métier attachant. Et les temps longs, la lenteur dans les processus d'apprentissage, on défend cela tous les jours. Et nous avons des élèves parfois vissés à leur téléphone portable, vivant dans des conditions difficiles, aveuglés par une société acquise aux valeurs consuméristes : ce qui complique encore plus notre mission éducative. L'éloge de la lenteur, du bien vivre (le buenvivir !), loin de l'individualisme, avec une tête libre, bien faite, c'est aussi notre combat quotidien. Idem sur la nécessité de contenus pluridisciplinaire : avec des cours de philosophie, de mécanique, de mathématique, de physique, de biologie et en passant par l'étude de la princesse de Clèves, des activités musicales aussi !

 

Ainsi, pour rester dans le réel et éviter d'enfoncer des portes ouvertes, le mieux restera toujours de se tourner vers le monde du travail, vers ces salariés, avec toute la diversité de leurs métiers, sans arrogance et sans donner de leçons. C'est la démarche de Progressistes, et la condition pour un débat de haut niveau résolument tourné vers le XXIe siècle.

 

 

 

 Paul Ariès répond à Amar Bellal

L’éco-communisme à l’école de Cuba et du Kerala

Paul Ariès

Nous nous félicitons de l’existence de cette réponse même si Amar Bellal choisit largement d’ignorer nos questionnements. Nous avons répondu immédiatement favorablement à sa demande avant même de recevoir son texte, car cela fait des années que nous essayons d’ouvrir ce débat avec le PCF. Nous espérons bien sûr que la revue Progressistes publiera notre propre réponse au texte de son rédacteur en chef… Nous tenons tout d’abord à rassurer Amar Bellal : cette charge contre la ligne éditoriale de Progressistes n’est ni une attaque personnelle ni même une bronca contre le PCF, car nous savons bien que toutes ces questions y font débat. Nous savons faire la différence entre les  sensibilités communistes au sujet du productivisme, comme au sujet de la gratuité des services publics ou de la relation au parti « socialiste ». Amar Bellal nous soupçonne de réserver notre fiel à son courant en « épargnant étrangement » EELV pour reprendre sa formule… C’est à croire que les rédacteurs de Progressistes ne lisent pas les Z’indigné€s (ou jadis le Sarkophage) car ils sauraient autrement que nous n’avons aucune sympathie pour les « escrologistes » . Nous pouvons d’ailleurs renvoyer Amar Bellal à notre livre « Cohn-Bendit l’imposture » (Max Milo). Si nous avons interpellé si vivement le PCF sur cette question, c’est parce que la revue Progressistes est la seule à avoir pris position contre la « science citoyenne », qui était le thème de ce dossier en partenariat avec la FSC. Amar Bellal nous reproche de négliger les évolutions du PCF et il cite la signature du texte commun contre l’exploitation des gaz de schiste. Non seulement nous n’ignorons rien de ces évolutions, mais nous pensons qu’elles se font à partir de la culture communiste elle-même : nous avons toujours écrit que le communisme était aussi porteur d’anti-productivisme, même si historiquement, avec la victoire du stalinisme, c’est le productivisme qui s’est longuement imposé à la gauche ; de la même façon nous pensons que les villes communistes devraient être les premières à mettre en œuvre la gratuité des services publics, comme un pas vers le communisme. Nous ne ferons pas à Amar Bellal l’insulte de croire que le refus de l’exploitation des gaz de schiste s’expliquerait par le choix de défendre le nucléaire contre une concurrence ! Nous pouvons par ailleurs rassurer Amar Bellal : il nous arrive souvent de croiser des syndicalistes en chair et en os … Pourquoi ce passage surprenant sous la plume d’Amar Bellal ? C’est que, puisque, comme nous le verrons plus loin, les Objecteurs de croissance défendraient une politique anti-sociale, nous ne pourrions être que des « petits bourgeois » comme on disait autrefois en bonne polémique… Je peux donc te rassurer Amar, bien que l’identité de classe ni la conscience de classe ne soient héréditaires, je suis fils de syndicalistes et même enfant d’une permanente de la CGT, j’ai consacré ma Thèse au syndicalisme CGT, j’ai longtemps été formateur à l’Institut du travail et de formation syndicale (ITFS) en charge de la formation des militants CGT, CFDT et FO, j’ai eu trois mandats de délégués du personnel dans l’enseignement privé supérieur, nous publions régulièrement dans les Z’indigné€s des textes de syndicalistes ; nous n’avons, il est vrai, en revanche jamais caché notre sympathie avec les positions « antiproductiviste » de certains syndicats comme ELA, principale organisation du pays basque Sud qui vient de fêter son centenaire et syndique 12 % des salariés, comme la CNE, principal syndicat belge francophone qui soutient que la croissance n’est pas la solution au chômage ni aux inégalités, comme l’UGTM avec lesquels nous partageons beaucoup d’analyses (N° spécial « Martinique »)… Rassure toi, camarade Amar Bellal, c’est aussi avec bonheur que nous invitons chaque année des syndicalistes lors des Forums nationaux de la désobéissance, c’est avec plaisir que j’ai accepté de soutenir l’appel des Fralib à boycotter Unilever… Amar Bellal nous soupçonne également de vouloir laisser les milieux populaires et les syndicalistes dans l’erreur … en les privant notamment du soutien des experts qualifiés. C’est bien mal nous connaitre, nous avons justement, parce que nous connaissons bien ce besoin de contre-expertise, demandé, dans notre livre sur la démocratie participative, que l’on s’inspire des droits reconnus aux Comités d’entreprise pour permettre aux Comités de quartier d’expertiser les choix des élus et de faire des contre-projets. Mais il est vrai que nous ne raisonnons pas en termes d’erreurs et de vérité et d’un savoir qui tomberait du Ciel. Pour faire simple, notre conception de l’éducation populaire est plus proche de celle que décrit l’ami Franck Lepage dans ses conférences gesticulées que de celle des experts de Bellal. Nous ne reprochons pas à Progressistes de citer des experts mais de choisir des experts qui défendent OGM et nucléaire. On pourrait se demander ce qui pousse ainsi Amar Bellal à vouloir que nous soyons nécessairement étrangers aux milieux populaires et aux luttes sociales, sinon cette bonne vieille antienne selon laquelle notre ancrage social expliquerait un positionnement qu’il juge anti-social… Car c’est bien ce dont nous accuse Amar Bellal : de vouloir affamer le peuple, ou mieux encore de précipiter sa mort. Relisons en effet le premier argument que nous oppose Amar Bellal : au-dessous de 2 tonnes équivalent pétrole (Tep) par personne/an, impossible de garantir une vie bonne, impossible tout simplement de préserver l’espérance de vie. Il faudrait déjà savoir déjà de quelles Tep nous parlons. Les ressources primaires d’énergie utilisées par la France étaient en 2001 de 274,4 millons de Tep pour une consommation finale - compte tenu des pertes par rendement et dissipation-  de 171,4 M Tep soit environ 2,6 Tep par personne/an soit bien audessous des 4, annoncés soit une perte de 37 % . Les Etats-Unis font pire avec une perte énergétique de 56 %. Nous sommes donc bien fondés à dire avec Nega-Watt que la meilleure énergie c’est d’abord celle qu’on ne gaspille pas… Nous n’avons pas ensuite pour objectif de faire avec ce mode de vie mais d‘en inventer un autre… totalement différent ! Parlons-nous d’ailleurs de la même chose lorsque Amar Bellal évoque, avec nous, la perspective du Buen vivir…ce n’est pas, pour nous, une façon plus exotique de parler du bien-être, mais une façon de penser, avec les gauches sud-américaines, une société post-capitaliste, post-croissanciste, post-extraciviste, et même post-développementaliste (A lire de toute urgence : Alberto Accosta, Le Buen vivir, Utopia). Nous mesurons mieux à lire Amar Bellal les méfaits des courants de droite de la décroissance qui, confondant décroissance et austérité, pronent de vivre la même vie avec moins… Osons le répéter une fois encore, la décroissance ce n’est pas faire la même chose en moins,  ce n’est pas apprendre à se serrer la ceinture (un peu, beaucoup, passionnément ou à la folie). Nous voudrions en convaincre Amar Bellal en prenant deux exemple qui nous sont chers autant qu’à lui qu’à nous.  Amar Bellal établit une corrélaction directe entre consommation énergétique et bonheur humain et même espérance de vie. Nous préférons établir une corrélation avec la justice sociale entendue comme un partage égalitaire d’un autre gâteau (PIB) car celui actuel est empoisonné donc inadapté.

 Cuba consomme chaque année 0,992 Tep par personne… soit beaucoup moins que les quartiers pauvres des Etats-Unis mais Cuba a une espérance de vie bien supérieure à eux, pas seulement grâce au soleil comme pourrait le penser Amar Bellal, mais grâce à la santé gratuite, à l’éducation gratuite, à la quasi-gatuité, durant des décennies, des produits alimentaires et d’entretien avec la fameuse « libreta ». On peut donc vivre bien avec moins de 2 Tep par personne/an et avoir une longue espérance de vie comme à Cuba (79,13 ans)…

L’Etat du Kérala permet de faire la même démonstration. Cet Etat, l’un des plus pauvres de l’Inde au regard des critères économiques de la richesse (PIB) a une consommation énergétique par personne très faible (0,4) mais sa population bénéficie d’une espérance de vie plus élevée qu’ailleurs en Inde, en raison de son modèle social, de la gratuité de l’école et de la médecine, de prix alimentaires subventionnés, de l’émancipation des femmes et aussi du poids historique du parti communiste… et de la forte politisation du peuple ! Le Kérala c’est quatre fois plus d’hôpitaux, deux fois plus de lits, 1,3 médecin pour 1000 habitants contre 0, 4 ailleurs, c’est la proximité des dispensaires et la gratuité totale des soins… 90 % de la population a droit à une alimentation subventionnée donc bénéficie d’une alimentation suffisante et équilibrée, 70 % des enfants reçoivent un repas gratuit à l’école, et tout ceci avec moins de Tep que dans le reste de l’Inde, comme quoi… Imaginons donc que le monde soit à l’image de Cuba ou de l’Etat du Kérala : cela nous ferait 0,992 Tep x 9,5 milliards d’humains soit 9, 424 milliards de Tep donc une décroissance, bingo, même en tenant compte de la démographie… Nous ne disons pas que Cuba ou l’Etat du Kérala soient parfaits. Loin s’en faut. Déjà parce qu’il nous faudra faire encore mieux pour être à la hauteur des enjeux planétaires. Comment faire ? Franchement, je ne sais pas mais ce que je sais c’est que cela se fera sera en écoutant les gens ordinaires, non pas parce qu’ils sont pauvres, mais parce qu’ils sont porteurs d’autres façons de vivre. 

Amar Bellal a donc raison : impossible d’imaginer pouvoir réduire l’empreinte écologique sans affamer les peuples tant que nous restons dans une logique capitaliste et productiviste mais tout devient possible si nous faions le pari d’une autre société qu’on la nomme eco-socialiste, eco-communiste, bref d’une société sobre, partageuse, écologique et… festive.

Selon le GIEC, si rien n’est fait, la teneur en C02 dans l’atmosphère qui est passée de 260 à 400 ppm dépassera 1400 ppm d’ici la fin du siècle, entrainant une augmentation dramatique de la température d’abord pour les plus pauvres. Le recul de l’intensité d’émission de CO2 par unité de PIB que l’on constate depuis 2010 par rapport à 1990 est certes une bonne nouvelle mais elle est totalement insuffisante. Nous devons donc non seulement relocaliser l’économie mais la réorienter en faveur des besoins sociaux et de choix techniques afin d’avancer vers une économie circulaire. Cela pose la question de la propriété des moyens de production mais aussi celle des choix technologiques à effectuer. Nous devons favoriser les industries les moins dangereuses au détriment des autres comme l’électronique, grosse émettrice de perfluorotributylamine - qui a une puissance calorifique 7100 fois plus grande que le dioxyde de carbone ! Nous devons privilégier les matériaux non composites donc des technologies simples, car nous ne savons pas, ou lorsque nous savons c’est toujours à un coût exorbitant, recycler les matériaux complexes comme ceux utilisant les nanotechnologies. Amar Bellal a donc raison : nous devons nous apprêter à accueillir 9 milliards d’humains en 2050. Si on raisonne en moyenne mondiale par habitant, cela signifie qu’au lieu de 5,6 tonnes de CO2 actuellement pour un Français (en fait 9 si on tient compte des délocalisations) , chacun  devra émettre au maximum 0,36 tonnes de CO2… Ce n’est pas avec la révolution NBIC qu’on n’y parviendra même si nous aurons besoin pour cela de vrais Soviets (démocratie).

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