22 septembre 2013

Site des Forums nationaux de la désobéissance

Nous ne sommes pas seuls dans le combat :

Site des Forums nationaux de la désobéissance

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France culture, 9 septembre 2013

De la gratuité des services et de leur bon usage

http://www.franceculture.fr/emission-s-il-fallait-changer-quelque-chose-paul-aries-2013-08-09

 

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Assises Bruxelles, septembre 2013

http://youtu.be/W-xtPTGgPCQ

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Avec village Emmaus-Lescar-Pau, juillet 2012

http://youtu.be/Ont-8ZTrfow

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Avec Emmaüs-Lescar-Pau

http://youtu.be/Ont-8ZTrfow

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En soutien à l'Alter-Tour

http://youtu.be/F0aifMZtfIQ

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Aide alimentaire ou service public de l’alimentation ?

Aide alimentaire ou service public de l’alimentation ?

texte paru dans Campagnes solidaires,mensuel de la Confédération paysanne, juin 2013

 

La question de l’aide alimentaire prend une importance nouvelle avec le mouvement programmé de « démoyennisation » de la société, du développement du précariat et du chômage de masse. Le nombre de jeunes, de personnes âgées et de familles à se priver sur le plan alimentaire explose. On estime à plus d’un milliard à l’échelle planétaire le nombre de personnes aujourd’hui mal nourries. Plus de 7 millions de français seraient en droit de recourir à l’aide alimentaire, mais dans ce domaine comme dans tous les autres, ce qui domine ce n’est pas la fraude mais le scandale du non-recours aux droits sociaux. Cette population malnutrie est considérée à l’image des pauvres en général comme un fardeau à la charge de la société qui n’en pourrait plus de payer pour une foule d’assistés. La facilité avec laquelle la majorité accepte la casse des aides sociales en est un bon symptôme. J’aimerai montrer qu’un autre point de vie est possible qui transformerait fondamentalement la façon de poser la question de l’aide alimentaire et donc les réponses à apporter à la crise actuelle. J’ai envie déjà de faire un parallèle avec la situation de la restauration sociale (école, entreprise, etc.) longtemps considérée comme le parent pauvre des politiques publiques, alors qu’avec son poids économique (près d’un repas sur trois) elle pourrait constituer un levier politique majeur pour transformer les politiques agricoles, grâce à de nouvelles politiques en matière d’achats publics. Il est évident que si on doit re-municipaliser (et il le faut) la restauration scolaire ce n’est pas pour faire la même chose que les Sociétés de Restauration Collective, mais pour aller vers une alimentation faite sur place, relocalisée, resaisonnalisée, moins gourmande en eau, moins carnée, assurant la biodiversité, etc. Pourquoi ce même raisonnement ne vaudrait-il pas pour l’aide alimentaire ? Des expériences prouvent qu’il est possible de faire de l’aide alimentaire avec des circuits courts mais aussi avec des produits de saison, privilégiant le fait soi même plutôt que des produits tout-faits. D’autres expériences organisées par des Centres sociaux ou des CCAS montrent qu’il est aussi possible de miser sur des savoirs faire populaires pour réapprendre à cuisiner/manger autrement. Je suggère donc de changer notre regard et de ne plus considérer que le mode d’exercice le plus efficace du droit à l’alimentation soit l’aide alimentaire mais plutôt un service public de l’alimentation. Oui, il est possible d’imaginer un service public de l’alimentation et on pourrait même imaginer qu’il devienne un jour gratuit, comme l’école publique, comme la santé publique, comme les transports en commun urbains, les services culturels et même les services funéraires. Il ne s’agirait pas d’un cadeau fait aux pauvres, d’une gratuité d’accompagnement du système qui ne va jamais sans condescendance et sans flicage (êtes-vous un vrai pauvre méritant ou un assisté ?) mais d’une gratuité d’émancipation car fondée sur la construction de « communs » (tout comme l’école), permettant de mettre en œuvre des politiques changeant les façons de  manger donc de produire. Oui, nous devons, pour cela, modifier notre regard sur ceux qui recourent à l’aide alimentaire. Ils ne sont pas les contre-exemples de ce qu’il conviendrait de faire pour que tout aille mieux sur Terre. Les contre-exemples ce sont les choix alimentaires (contraints certes par la publicité et le marketing) d’une minorité qui affament les autres et détruisent la biodiversité et l’agriculture paysanne. Si tant de gens sont affamés, sous-nutris, malnutris, ce n’est pas un problème de pénurie agricole, ce n’est pas un problème de moyens car la planète est déjà assez riche pour nourrir 7 milliards d’humains. L’ONU estime qu’il suffirait de mobiliser 40 milliards de dollars US supplémentaires pendant 25 ans pour que plus personne ne crève de faim et que 80 milliards régleraient la grande pauvreté. Ces 40 ou 80 milliards sont introuvables mais le budget militaire mondial est de 1400 milliards de dollars, celui de la publicité de 800 milliards et le Produit industriel Criminel (argent sale) de 1000 milliards. L’équivalent d’une seule journée de travail mondial exprimé en PIB permettrait de nourrir chacun ! L’aide alimentaire n’est pas du côté de la construction d’alternatives : elle permet aux pauvres de manger la même chose en moins, elle soutient l’agriculture productiviste et la grande distribution… Un service public de l’alimentation pourrait au contraire libérer des territoires pour faire du neuf. L’alimentation des riches c’est aujourd’hui un tiers de la production mondiale gaspillée. Les seuls gaspillages alimentaires nord-américains atteignent 100 milliards de dollars et l’excès de consommation des personnes obèses représente 20 milliards de dollars par an. Un service public gratuit de l’alimentation ? Une utopie réalisable ou une illusion ? Avec la moyenne de consommation alimentaire de l’UE - 27 qui est de 1600 euros par an, rendre gratuit l’alimentation de 60 millions de français coûterait environ 150 milliards d’euros…. soit 4 fois le budget des armées. 

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Ecologie et chrétienté

Ecologie et chrétienté, théologies de la libération ou retour des droites cathos ?

Christian Terras, directeur de Golias

Paul Ariès, directeur du sarkophage, rédacteur en chef de la revue les Z’indigné €s

Texte paru dans le trimestriel les Z'indigné(e)s 

 

 

 

Nous lançons un appel solennel aux chrétiens et aux athées contre la menace que fait peser la droite chrétienne contre l’écologie politique et les milieux de la décroissance. Cette opération a plusieurs visages dont celui des « Chrétiens Indignés » (sic) dont le nom fait écho à l’appel à l’indignation lancée par les milieux traditionnalistes dans le domaine des arts. On retrouve comme principal pivot de cette opération Patrice de Plunkett, ex-rédacteur en chef du Figaro-magasine reconverti dans une posture « ni droite ni gauche » mais toujours « papiste ». Lui sont associés des personnages comme Vincent Cheynet (rédacteur en chef de la Décroissance) ou Jacques de Guillebon (rédacteur en chef du bulletin traditionnaliste la Nef). Nous nous élevons en tant que Chrétiens et qu’athée contre ce mauvais coup porté à l’écologie. Nous ne pouvons laisser entendre que l’effondrement environnemental serait la conséquence du matérialisme ou que la solution serait la mal-nommée doctrine sociale de l’église, bras armé du Vatican pour combattre les socialismes au nom d’un libéralisme régulé, ceci depuis 1891. Cette confusion est non seulement stupide mais intéressée. Elle est stupide car elle oublie que le capitalisme est l’enfant de la chrétienté. Les travaux de Colin Campbell après ceux de Max Weber permettent pourtant de comprendre en quoi le processus de formation de la société productiviste trouve son origine au XVIIe siècle avec l’apparition du consommateur aux côtés de l’entrepreneur. Alors que le productivisme relève de la branche calviniste rigoriste, le consumérisme dérive de la branche piétiste sentimentaliste. Cette confusion est intéressée car elle vise à faire de la question écologique un nouveau terrain d’évangélisation du peuple. La question n’oppose pas pourtant matérialisme et spiritualité mais plusieurs matérialismes entre eux comme diverses spiritualités entre elles : il existe ainsi deux manières de croiser la religion chrétienne et l’écologie politique soit en allant du côté des « théologies de la libération » et donc du « Buen vivir » socialiste, soit en retournant à une conception rigoriste, intégraliste, fondamentaliste, bref cléricale de la religion. On débouche, dans le premier cas, sur l’option préférentielle pour les pauvres et une alliance avec les gauches et, dans l’autre cas, sur l’orthodoxie vaticane et les droites chrétiennes. Ce n’est pas un hasard si l’Amérique du Sud qui a été le berceau des théologies de la libération (20e siècle) est aussi celui de ce socialisme du Buen Vivir (21e siècle). A défaut d’épouser les théologiens de la libération engagés dans les mouvements d’émancipation comme Léonardo Boff, Frei Betto, Hugo Assmann, D Helder Camara, cette « droite catho », objectrice de croissance, finira par ressembler aux dames patronnesses du XIXe siècle qui enseignaient au bon peuple comment se passer de tout ce qu’il lui manquait (sic).Nous, militants chrétiens ou athées, sommes donc du côté des théologies de la libération lorsqu’elles soutiennent que le rejet du capitalisme n’est pas seulement celui du libéralisme dérégulé, mais celui d’un système de classe injuste, celui d’un « péché structurel » ; Nous, militants chrétiens ou athées, sommes du côté des théologies de la libération lorsqu’elles dotent l’écologie d’un contenu de classe, lorsqu’elles affirment une « option préférentielle pour les pauvres » qui n’est pas qu’une façon d’aimer ou d’aimer les pauvres mais de lutter avec eux, lorsqu’elles prônent la solidarité avec les luttes d’auto-émancipation des peuples ; nous, militants chrétiens et athées, sommes du côté des théologies de la libération pour dire que l’ennemi ce n’est pas l’athéisme mais l’idolâtrie (la Richesse, l’Identité nationale, la mystique de l’Etat, l’essentialisme sexuel, la défense de « la civilisation chrétienne occidentale») ; nous, militants Chrétiens et athées, sommes du côté des théologies de la libération pour affirmer le primat de l’élément anthropologique sur l’élément ecclésiologique, de l’élément critique sur l’élément dogmatique, ; du social sur la personne ; nous, militants chrétiens et athées,  sommes du côté des théologies de la libération pour dire que l’idée du socialisme ne peut pas plus être jugée par les pratiques du « socialisme réel » que le christianisme ne saurait s’identifier avec la Sainte Inquisition ; nous, militants chrétiens et athées, sommes du côté des théologies de la libération pour dénoncer le lien entre le style de pouvoir impérial dans l’église, l’autorité hiérarchique, la tradition d’intolérance et de dogmatisme, le mythe de l’infaillibilité pontificale et les schémas de pensée et d’action qui conduisent à détruire l’humanité et la planète ; nous, militants chrétiens et athées sommes du côté des théologies de la libération pour dire que le paradigme oppression/libération s’applique autant aux classes dominées qu’à la Terre, nous sommes du côté des théologies de la libération pour dire qu’une totale séparation de l’église et de l’Etat si elle suppose qu’il n’y ait pas de parti chrétien signifie également qu’il n’y ait pas de mouvements sociaux chrétiens fussent-ils dans le domaine écologique car le pic du pétrole, la crise de la biodiversité sont les mêmes pour tous, Nous, militants chrétiens et athées, sommes du côté des théologies de la libération pour dire notre refus du retour au catholicisme politique (sous couvert d’un dangereux et hypocrite « ni droite ni gauche ») et pour dire notre refus de tout message qui, sous prétexte de dénoncer l’ultra libéralisme et le socialisme (« le socialisme est un ennemi, le libéralisme aussi » site France Jeunesse Civitas) entendrait imposer un modèle conforme aux lois de Dieu… Nous mettons en garde le peuple chrétien comme nous mettons en garde les mouvements sociaux qui se laissent abuser par les faux-semblants. Car comme le dit l’abbé Guillaume de Tanoüarn (Fraternité Saint Pie X) : « l’antilibéralisme, c’est aussi un thème très ancien de ce que l’on appellera « la droite chrétienne » la plus intransigeante. ». Qu’on ne compte donc pas sur nous pour rejeter la liberté morale, philosophique et religieuse, que l’on ne compte pas sur nous pour faire du combat contre le culte de la croissance et l’illimitisme, une nouvelle « guerre sainte » contre l’athéisme et le matérialisme philosophique, que l’on ne compte pas sur nous pour banaliser les droites chrétiennes sous prétexte d’Union sacrée pour sauver la planète et l’humanité. Nous, militants chrétiens et athées, nous affirmons que les seules lois qui comptent pour la citée sont les lois laïques faites par les hommes en conscience.

n, 73, hiver 2006.

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Entretien autour du Socialisme gourmand

Entretien autour du socialisme gourmand

A la veille des élections présidentielles et législatives, Paul Ariès publie Le Socialisme gourmand, petit traité politique du Bien-vivre (La Découverte). Un ouvrage de synthèse qui défend une Objection de croissance, ancrée dans les gauches et amoureuse du Bien-vivre.

 

Texte paru dans le Sarkophage

 

Simon Lecomte : Tu dis que ton nouveau livre est celui d’une défaite assumée et d’un immense espoir. Tu évoques la gigantesque banqueroute des « socialismes réels ». Tu sembles cependant reprendre très vite espoir, ce qui ne surprendra pas ceux qui te côtoient...

Paul Ariès : J’avoue avoir eu souvent, ces dernières années, la gueule de bois idéologique. J’ai toujours fait l’éloge du doute mais l’horizon a semblé bien des fois bouché.   Je répétais certes qu’il ne fallait pas se laisser envahir par le discours anxiogène et fataliste qui participe tant à la répression de la vie; mais je me sentais un de ces révolutionnaires devant apprendre à vivre sans révolution. J’aurais aimé me libérer plus tôt de cette tempête pessimiste qui fait ployer les gauches, mais j’avais besoin de cet appel du grand large que représentent les mouvements pour le « Bien vivre ». J’avais dit que je ne finirai cet ouvrage, en chantier depuis des années, que si j’avais la conviction intime que mes nouvelles raisons d’espérer tenaient moins à l’optimisme de ma volonté qu’à un amoncellement de signes témoignant de quelque chose en souffrance, bref de la possibilité d’une victoire. Vitupérer ad nauseam contre l’imposture et les espoirs déçus et trahis aurait été en effet une perte de temps si les conditions n’étaient pas réunies pour ’apercevoir dans le ciel des divers continents les signes annonciateurs d’un nouveau socialisme, d’un socialisme de la décroissance, d’un éco-socialisme, d’un socialisme qui préfère chanter la vie au présent à l’attente de  « lendemains qui chantent ».

Simon Lecomte : Tu cites des dizaines de nouveaux gros mots qui tous cherchent à ouvrir la même porte, qui tous témoignent de la volonté de rompre une sorte d’ensorcellement sémantique : le « sumak kaway » des indigènes indiens, le « buen vivir » (Bien vivre) des gouvernements équatoriens et boliviens, les « nouveaux jours heureux » des collectifs des citoyens-résistants (clin d’œil au programme du Conseil national de la Résistance dont le titre était Les jours heureux),  la « vie pleine » de Rigoberta Menchu (Prix Nobel de la paix 1992),  la « sobriété prospère », la « frugalité joyeuse » ou, encore, les « besoins de haute urgence » du mouvement social en Guadeloupe, etc. Tu développes la thématique d’un nouveau « socialisme gourmand »… Je me souviens que le mot t’est venu…il y a quelques temps déjà, en regardant de nouveau le chef d’œuvre de Théo Angélopoulos « Alexandre le grand », le conflit entre deux révolutions, deux socialismes.

Paul Ariès : Je te remercie de citer Théo car tu sais tout ce que je dois à son imaginaire. Théo est mort le 24 janvier dernier renversé par une moto alors qu’il préparait un nouveau film sur la révolte grecque. Il fait partie des poètes qui frayent devant eux nos chemins d’émancipation. Tous ces nouveaux « gros mots » permettent eux aussi de définir un nouvel horizon émancipateur. J’ai choisi de parler de  « socialisme gourmand » pour penser et marcher en dehors des clous. Parler de « socialisme » c’est continuer à dire que nous avons des ennemis à vaincre, autant le capitalisme que le fétichisme d’État ; c’est rappeler que les socialismes n’ont été croissancistes qu’accidentellement et qu’il est donc possible de penser un socialisme sans croissance. Parler de « gourmandise » permet d’en finir avec l’idée d’un socialisme du nécessaire qui ne va jamais sans générations sacrifiées, donc aussi sans appareil de parti ou d’État gérant cette mal-jouissance. C’est aussi mieux identifier le mal qui nous ronge, ce travail de mort qui caractérise le capitalisme, c’est se défaire des passions tristes y compris dans nos formes d’engagement, c’est avoir foi dans les capacités de régénération des forces de vie, c’est choisir de développer des politiques qui éveillent la sensibilité, le sens moral contre les critères de performance et d’efficacité qui sont ceux du capitalisme. Le pari est que les termes accolés « socialisme » et « gourmand » enfanteront beaucoup plus que leur simple addition. C’est donc prendre au sérieux le constat que les mots sont des forces politiques, des puissances imaginaires qui peuvent faire bouger des montagnes si elles émanent des masses…

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Simon Lecomte : Il me semble que tu nous dis cependant bien autre chose. Tu consacres un chapitre à ce que tu nommes le socialisme en souffrance. Il s’agit d’ouvrir sur quelque chose qui existe déjà au moins en creux mais que nous ne percevons pas, qui reste innommable, non-représentable, inactuel mais dont nous avons besoin pour être du côté du vivant. Tu dis qu’une gauche qui fréquente trop assidument le système ne peut que devenir inauthentique. Tu ajoutes qu’une autre gauche n’a pourtant jamais cessé d’exister, de résister et même de créer. Il s’agit de nous émanciper de la contrainte de (nous) penser dans les catégories de nos adversaires, avec leurs agendas, leurs ordres du jour, leurs priorités et leurs limitations, leur insensibilité, leur forclusion.

Paul Ariès : Je fais appel à une notion proposée par Jean-François Lyotard : une parole peut être dite « en souffrance » en raison de sa trop grande différence, lorsqu’elle échappe aux catégories de perception et de conceptualisation dominantes, lorsque le régime des phrases ou les genres établis sont tout simplement incapables de l'accueillir. Ainsi, les manifestations du socialisme gourmand échappent aux catégories du sentir et du dire qui sont devenues celles des gauches moribondes. Combien a t-il fallu batailler pour convaincre que refuser la malbouffe, combattre la « sportivation » de la vie, c’est aussi faire de la politique du point de vue des dominés ? Pourquoi a-t-il fallu batailler pour faire admettre que le Slow food ou les villes lentes sont déjà des petits bouts de solution ? Rendre le socialisme gourmand possible, c’est donc d’abord le rendre perceptible. La gauche n’a rien vu venir : ni le féminisme, ni l’écologie, ni le racisme de gauche, ni la haine de l’islam, ni le mouvement « queer » et la question des genres, ni l’antispécisme et la nécessité de penser d’autres rapports aux non-humains, ni la montée en puissance de l’individu et celle des communautés, ni la désobéissance, ni la nécessité d’inventer d’autres rapports à la nature. Le socialisme gourmand reste littéralement invisible car nos sens (comme nos idées) sont limités, claquemurés par le système. Lyotard rappelle à juste titre qu’une journée de travail n’évoque jamais la même chose pour un salarié et son patron. J’ai donc voulu rendre compte non pas d’une gauche inexistante mais d’un socialisme largement invisible bien qu’existant déjà partiellement. On ne peut qu’être sidéré devant la cécité face à ce que fut le mouvement coopératif.

Simon Lecomte : Tu opposes ce que tu nommes le socialisme du désir au désir de socialisme. Tu cites Léon Bloy qui prévenait que la colère des dieux s’abattrait sur ceux qui oseraient toucher au désir des pauvres.

Paul Ariès : Le Ciel ne nous est pas tombé sur la tête mais il est de plus en plus difficile d’exister réellement dans cet univers voué à la marchandise et à l’accumulation sans fin… Nous peinons à donner un sens réel à nos existences et nous sommes devenus sourds aux appels à la vie. Le vrai dissensus  est aujourd’hui de parler la langue du plaisir avant celle de la revendication. La gauche n’a pas compris que le peuple n’aurait pas de désir à opposer au capitalisme tant qu’il n’aurait pas de droit au plaisir. Le syndicalisme a régressé lorsqu’il a cessé de faire contre-société. Le féminisme a régressé en exigeant la parité ce qui a marqué le passage de la revendication du droit au plaisir à celle du droit au pouvoir. Souvenons-nous de la consternation de la gauche sage et frigide face aux cortèges féministes dans lesquels les manifestantes faisaient le symbole du vagin avec leurs mains. Le socialisme gourmand prend donc au sérieux l’idée que seul le désir est révolutionnaire. Il ne s’agit plus de combler un manque mais de développer les liaisons sociales : « moins de biens, plus de liens ». Comme le proclamait Deleuze : « Le désir est révolutionnaire parce qu’il veut toujours plus de connexions et d’agencements[1]. La  véritable particule élémentaire, ce n’est pas l’individu, c’est la liaison, le don, la gratuité. Mais en même temps, si le désir est ce qui autorise le plein déploiement de la vie, il est alors aussi ce qui permet que s’opère  l’individuation de l’individu. On peut comprendre dès lors qu’il puisse y avoir de la joie dans les maquis ou durant des grèves dures, longues, à l’issue incertaine. Autant de moments où le combat exprime « la vérité même du mouvement de l’être » c'est-à-dire la « jouissance de l’être comme jouissance d’être » (R. Mishari). Sans cette jouissance d’être, le socialisme ne peut qu’être un échec. Là où le socialisme réel fut si souvent celui de la tristesse, le socialisme gourmand chemine vers une positivité existentielle ; je dis bien chemine, non parce qu’il rencontre des obstacles, mais parce que le bonheur est un acte, pas un état. La jouissance d’être n’est pas contradictoire avec la limite. Elle n’est pas davantage rectiligne. Puisque le désir est multiple et contradictoire, le Socialisme gourmand ne peut donc qu’être polymorphe, symphonique, excédentaire…C’est pourquoi le mouvement pour la réduction du temps de travail (les 32 heures, tout de suite) reste un instrument essentiel de libération. C’est pourquoi il ne peut y avoir de socialisme gourmand sans droit à un revenu garanti. Mais aucune réduction du temps de travail et aucun revenu garanti ne pourront jamais à eux seuls (nous) sortir des années du « plus de jouir » capitaliste, ne pourront résoudre nos angoisses existentielles et nous libérer des réponses capitalistes. C’est pourquoi, il nous faut construire dès maintenant des îlots de socialisme gourmand afin de casser l’imaginaire capitaliste et ce que l’imaginaire socialiste a de capitaliste.

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Simon Lecomte : Tu parles d’un socialisme de la passion que tu opposes au capitalisme.

Paul Ariès : J’emprunte ici l’argumentation sans faille de Plinio Prado. Nous devons en finir avec ce qui restait de philosophie antique dans  les socialismes réels et ne plus être du côté de l’ascèse. Ce programme philosophique fut aussi un programme politique qui s’est révélé néfaste. Face au rigorisme, le socialisme gourmand doit inscrire, au contraire, à son programme le droit à l’intensification et au raffinement du sensible qui n’est nullement le « jouir sans entraves ». Cette thèse est féconde parce qu’elle prend le contre-pied de celle sur la soi-disant crétinisation des masses : les gens sont moins bêtes que désespérés, moins manipulés qu’insensibilisés.  Le socialisme gourmand ne prêche pas une quelconque ascèse corporelle, le refus d’un corps mauvais et putrescible dont il faudrait apprendre à se (dé)fier au profit d’une belle âme pure et immatérielle. Les politiques du « bien vivre » que nous proposons ne sont pas des incitations à s’automutiler. Nous devons réapprendre des mots et des gestes pour nous rendre disponibles aux sentiments. Jean-Luc Nancy propose celui d'adoration. Pourquoi pas si nous lui enlevons toute dimension théologique.  Il s’agit aussi de nous donner des gestes, d’apprendre déjà à se « réincarner » dans nos propres corps. Le capitalisme a pénétré en nous et nous a contaminés : notre corps est le premier territoire à libérer. Nous ne sommes pas sans bagages pour commencer ce voyage :  Je pourrai citer ce travail sur la sensibilité qu’est l’engagement militant, le fait que nos moi se frottent les uns aux autres dans une perspective qui n’est pas celle du profit ; je pourrai citer les mille façons de travailler autrement que développent le mouvement coopératif, l’économie sociale et solidaire, les mille façons de vivre autrement avec l’habitat autogéré, les  AMAP, les SEL, les monnaies locales, le refus de la « sportivation  de la vie » qui va bien au-delà de la nécessaire critique du sport. .

 

Simon Lecomte : Tu expliques longuement comment les gauches ont volontairement sacrifié le syndicalisme à bases multiples, le socialisme et le communisme municipal, le mouvement coopératif…Tu rends finalement ces gauches-là responsables de leur échec. Tu en conclues à la nécessité de faire sécession aujourd’hui. Tu en fais même la condition première d’une issue au capitalisme, d’une refondation d’un nouveau socialisme. N’est-ce pas un point de vue défaitiste ?

Paul Ariès : Ce faire sécession est tout sauf du défaitisme, c’est un appel au protosocialisme. Les gauches du 20e siècle n’ont pas su (ou voulu ?)  développer des réalisations à la hauteur de leur projet ; elles ont abandonné l’idée de faire contre-société et de cultiver leur autochtonie. Elles se sont mises en jachère. Elles ont pensé que la meilleure façon d’avancer vers le socialisme était de camper dans l’enceinte du capitalisme pour y travailler ses contradictions de l’intérieur. Résultat : non seulement le peuple n’existe plus (ou si peu), il n’a jamais été autant intégré corporellement (de par ses modes de vie) et mentalement (de par ses valeurs) dans le capitalisme et le productivisme. Conséquence : les gauches ont fini par y perdre leur âme. Comment se plaindre qu’elles soient devenues gestionnaires alors qu’elles n’ont eu de cesse d’ intégrer les milieux populaires à la nouvelle économie (psychique) capitaliste et au mode de vie qui lui correspond et l’entretient? Ce qui est certain c’est que nous devons multiplier les expérimentations, car seules les marges permettront de recréer une politique vivante. En « permaculture », les marges désignent ces lieux en bordure qui sont toujours les plus féconds, les plus vivants. C’est là qu’on rencontre le maximum de métissage, de biodiversité. Les marges ont donc vocation à devenir autant de lieux de vie, de laboratoires du futur.

 

Simon Lecomte : Tu parles aussi de la nécessité d’inventer un socialisme existentiel. Tu évoques des aspects classiques comme l’invention de nouveaux communs mais tu dessines aussi d’autres perspectives en évoquant la place de la fête et de la fantaisie, en appelant à l’amour et à l’amitié, en invitant à la beauté…Tu parles même de la nécessité d’inventer des exercices spirituels opposés à ceux du capitalisme : l’école capitaliste, la TV-lobotomisation, les sports de compétition, l’agression publicitaire, etc. J’avoue avoir découvert certaines pages bien cachées de l’histoire du socialisme concernant les expérimentations sexuelles, alimentaires, ludiques, etc.

Paul Ariès : ce socialisme pratique que j’évoque est nécessairement métèque : il ne s’agit nullement de songer à un retour aux architectes sociaux, aux systèmes tout fait (Cabet, Weitling, Dézamy…). Le socialisme pratique est nécessairement kaléidoscopique et tourbillonnant. Il n’y a nulle unification a priori, mais il n’y en a pas davantage a posteriori. L’écriture du socialisme gourmand se fait en spirale puisqu’il s’agit de penser des ruptures réelles qui ne sont plus des ruptures globales. Ce qui est contestable, ce n’est pas que les gauches aient voulu questionner la sexualité, l’alimentation, la pédagogie, les astres, etc., mais d’avoir cru au pouvoir, c'est-à-dire à la centralité de la révolution, à la possibilité de changer de vie en imposant des modèles qui écrasent la subjectivité individuelle et collective. Le socialisme pratique répond à la nécessité pour les gauches d’une cure de dissidence. Nous devons accepter le fait que le combat révolutionnaire procède souvent par des détours : la grammaire avec Proudhon, la médecine avec Raspail, la sexualité avec Reich, l’astronomie avec Blanqui, la pédagogie avec Jacotot. Une chose cependant n’a pas changé depuis Marx et Engels, depuis Guesde et Lénine, depuis Paul Brousse ou Benoit Malon : les défaites successives s’expliquent par le refus d’une partie des forces socialistes de tenter de réaliser des « petits bouts » de socialisme. Cet échec fut donc souhaité,  revendiqué, programmé, organisé et finalement réussi et applaudi. Ce sont (presque) toujours les mêmes qui s’opposent au mouvement coopératif, à l’économie sociale et solidaire, à l’extension de la sphère de la gratuité, au nom de la pureté du combat de classe nécessairement frontal, au nom de la construction prioritaire du grand parti révolutionnaire. Songer aux mille façons de construire des « petits bouts de socialisme » demeure iconoclaste même si ce chemin est un des plus courts pour inventer des gauches buissonnières, des gauches maquisardes contre l’impuissance des gauches gestionnaires ou gesticulatoires. Le détour par les expériences historiques est d’autant plus important que la crise sociale et politique actuelle créé les conditions d’un retour au « socialisme municipal », au mouvement coopératif, à un syndicalisme de services, à l’économie sociale et solidaire. C’est enfin la condition pour que la gauche retrouve le peuple.

Simon Lecomte : Tu évoques en effet la nécessité d’un socialisme populaire…

Paul Ariès : Toute la stratégie du socialisme gourmand pose en effet la question du renouveau des cultures populaires entendues comme des cultures pré ou post-capitalistes. Contrairement à l’idéologie dominante, les milieux populaires n’ont pas disparus, ni les gens modestes, ni la classe ouvrière, ni la paysannerie. Parler de socialisme populaire suscite beaucoup de résistances, d’irritations. Il me semble qu’elles sont de même nature que celles suscitées par la mise en cause du dogme de la croissance économique. Certaines résistances sont théoriques. D'autres, esthétiques. Le « petit peuple » n'a jamais eu bonne presse dans les milieux socialistes, à quelques rares exceptions, comme celle d'Orwell qui ne cessa jamais de chercher une sorte de « bon sens populaire ». Michel Surya cite quelques-uns des noms d'oiseaux qui servaient à Marx à disqualifier la plèbe : « masse amorphe, décomposée, ballotée », « vagabonds », « forçats sortis du bagne », « galériens en rupture de ban », « escrocs », « charlatans », « lumpenprolétariat ». Il est erroné de penser que les cultures populaires n’ont été que des sous-produits de la culture dominante, comme s’il pouvait n’exister, dans une société de classes, qu’une seule et unique façon de sentir, de penser, de rêver, d’être. Les milieux populaires ont toujours expérimenté des formes de vie « autres ». Comment faisait-on et comment fait-on pour vivre (et « vivre » malgré tout) et pas seulement survivre, sans beaucoup d’argent, sans épargne ? Quelles valeurs ont-elles émergé de ces modes de vie ? Refuser la primauté des « couches moyennes », c’est refuser le fétichisme de l’économie, celui de l’État et la fausse solution de l’étatisation du capitalisme comme chemin de l’émancipation. La centralité des couches moyennes a été une façon de discipliner les milieux populaires.

Simon Lecomte : Tu évoques aussi ce que tu nommes un socialisme de parole

Paul Ariès : Il ne peut pas y avoir de socialisme gourmand sans appel à la subjectivité, or la subjectivation requiert le langage, mieux, la prise de parole. Les mouvements sociaux récents éprouvent le besoin de renouveler la langue. Ce livre ne fait pas exception.  Le désintérêt des gauches pour le langage a accompagné l’effondrement des projets, la faiblesse des mobilisations, mais aussi la crise de la créativité langagière populaire (malgré l’argot des jeunes des banlieues). Il a accompagné la disparition d’une langue politique qui défie l’ordre. L’histoire des gauches se confond avec celle du pouvoir de la parole, en particulier celle des tribuns : Robespierre, Saint Just…oserais-je dire Mélenchon. Le langage des gauches est devenu étranger, incompréhensible pour le commun. La gauche doit retrouver sa capacité de séduction, de mobilisation mais aussi de compréhension. Je suis heureux que l’on réapprenne à se nommer et à nommer l’ennemi : une des plus grandes victoires de la bourgeoisie est d’avoir rendu innommable sa propre classe. Après le « Président des riches », Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot traiteront dans le Hors série du sarkophage « On change tout » du « président des pauvres ». Jacques Rancière a montré que le nom est ce qui garantit la puissance ; la naissance se fait par la parole ; priver de parole c’est renvoyer dans l’innommable.  J’ajouterai que la parole de gauche doit être de rappeler que les savants n’ont pas le monopole des savoirs.

Simon Lecomte : Tu conclues Le socialisme gourmand par l’éloge du socialisme moral

Paul Ariès : En parlant de morale et pire encore, de socialisme moral, je sais que ne manquerai pas de m'attirer les foudres de tous les gardiens du temple. Mais je suis convaincu  que face aux projets fous du capitalisme vert d’adapter la planète et l’humanité aux besoins du productivisme, nos vieux mots d’ordre économicistes et amoraux seront de peu de poids pour s’opposer aux modifications du climat, à l’exploitation des gaz de schiste, au transhumanisme, etc. Nous avons besoin de partager une vision de l’humanité et une conception de ses rapports à ce qui l’environne qui relève bien du jugement moral et pas seulement des connaissances scientifiques. Si le capitalisme était capable de contraindre les humains à intérioriser son imaginaire amoral, alors nous ne serions déjà plus capables de nous y opposer. Ni en Grèce, ni en Afrique ni en France. Sur quoi prendre appui ? La politique du Bien vivre peut être considérée comme une politique morale. Cette morale est une morale populaire puisqu’elle satisfait le plus grand nombre (les 99 %) mais aussi parce qu’elle entretient, comme le dit Orwell, avec les gens ordinaires des relations privilégiées. J’ajouterai que ma morale est non seulement athée mais qu’elle est celle des passions joyeuses. Les sentiments négatifs vont trop souvent de pair avec les passions tristes qui sont celles du capitalisme. Ce choix des affects positifs  n’est pas seulement conforme à l’essor des passions joyeuses  qui composent le seul aliment dont peut se nourrir le « socialisme gourmand » mais c’est aussi le plus conforme aux grandes passions des gauches qui ont toujours été historiquement des affects positifs. Je pense à l’amour, au partage, la fraternité contre la repentance, l’ordre, la peur des enfers. La gauche peut prendre les armes mais elle n’est pas guerrière. Elle rêve de concorde. Elle est hantée par la question de la non-violence. La droite, elle, est volontiers violente, militariste, prédatrice (ne serait-ce que dans les rapports économiques et dans sa vision des relations humaines). Les terrains de jeu de la gauche sont peu virils : la paix, le pain, la santé, l’éducation, autant de figures féminines dans son Panthéon qui ne sont d’ailleurs pas tant des allégories que de vraies femmes, des femmes du peuple, des femmes émancipées. Ce dont nous manquons pour nous insurger comme le dit aussi Miguel Benasayag, ce n’est pas de motifs de mécontentements, c’est de la joie nécessaire pour pouvoir se rebeller. Ce qui nous rend impuissants ce sont les passions tristes.

 

 



[1] Gilles Deleuze (avec Claire Parnet), Dialogues, Flammarion, 1995.

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Gauches et antiproductivisme : les rendez-vous manqués

Gauches et antiproductivisme : les rendez-vous manqués

Extrait du livre collectif 

Je n’ai jamais cru à la thèse du retard en matière d’écologie : la gauche n’est pas productiviste parce qu’elle n’aurait pas encore assez réussi sa mue. Les gauches du 18 et 19 e siècle étaient beaucoup moins productivistes que la gauche du 20e siècle, et même de ce début de 21e siècle. Le productivisme de gauche n’est pas une maladie infantile mais la conséquence de choix politiques. J’ai montré dans La Simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance (in La Découverte) qu’il y a toujours eu deux gauches depuis qu’elles se nomment ainsi. Il y a toujours eu une gauche productiviste, celle qui a foi dans le développement des forces productives, celle qui croit à l’enchainement automatique des modes de production (après le féodalisme, le capitalisme, puis le socialisme et le communisme), celle qui confond progrès humain et progrès technique, celle qui est passée de la perspective de l’abolition de l’Etat à son culte… Cette gauche productiviste a toujours été dominante, dominatrice même, mais elle a aujourd’hui du plomb dans l’aile, car elle ne peut plus promettre le pays de Cocagne à plus de sept milliards d’humains. Elle est discréditée par la double faillite du modèle social-démocrate reconverti en social-libéralisme puis en nouveaux démocrates et du modèle stalinien foncièrement anti-communiste. Mais il y a toujours eu une autre gauche (d’autres gauches serait plus juste) antiproductiviste plongeant ses racines dans les résistances spontanées des milieux populaires à ce qui fut toujours présenté comme un progrès, hier comme aujourd’hui, je pense aux luttes multiséculaires des paysans et des ruraux s’opposant au mouvement des enclosures, je pense aux ouvriers cassant non pas toutes les machines mais celles qui prenaient leur place, je pense au Droit à la paresse de Paul Lafargue, je pense aux courants pré-socialistes, je pense aux socialistes utopistes, je pense au socialisme chrétien, celui du 19e siècle jusqu’aux théologies de la libération. Je pense à Charles Fourier, prophète d’une réconciliation avec la nature, puisqu’une société libérée de l’exploitation en finirait aussi avec la domination de la nature. Je pense à Marx et à son éloge de l’œuvre de Justus von Liebig qu’il qualifie de plus importante que celles de tous les économistes réunis. Il écrit dans le Capital : « L’un des immortels mérites de Liebig est d’avoir développé le côté négatif de l’agriculture moderne, du point de vue des sciences naturelles. » Le grand chimiste allemand est le premier à avoir dénoncé de façon systématique les méthodes de l’agriculture intensive (dégradation des sols, déplacement sur de longues distances, importation du guano du Pérou, utilisation des ossements de toute l’Europe, etc. Liebig permet à Marx de penser le capitalisme comme rupture de l’interaction métabolique entre tous les êtres humains et la Terre, et donc de donner comme objectif la restauration de cette relation métabolique nécessaire qu’il qualifie même de « loi de régulation de la production sociale. » Je pense à Engels et à son amitié intellectuelle pour Carlyle, le dénonciateur de « l’âge industriel ». Je pense aux auteurs socialistes critiques du productivisme durant tout le 19e siècle avec William Morris, Henry Salt, August Bebel, Rosa Luxembourg. Karl Kautsky lui-même fera la critique de l’agriculture intensive en dénonçant l’utilisation des engrais et des pesticides. Rosa Luxembourg s’émouvra de la disparation de certaines espèces et de la pollution. Je pense aux sublimes, ces ouvriers hautement qualifiés du 19e siècle, qui choisissaient de travailler le moins possible et refusaient de s’embaucher le lundi car la saint-lundi avait un grand avantage sur les dimanches c’était que les cabarets étaient ouverts, je pense au mot d’ordre des années soixante dix pour « vivre et travailler au pays ». Walter Benjamin élaborera une critique radicale du concept d’exploitation de la nature. Dès 1928, il dénonce dans son livre Sens Unique l’idée de domination de la nature comme un discours impérialiste, il revisite la technique pour la définir comme maîtresse des relations entre la nature et l’humanité. Il dénonce la cupidité de notre civilisation et parle de dénaturation de la société, de vol des dons de la nature, d’appauvrissement des sols, de ruine des écosystèmes. Il remet en cause l’idée même de progrès en montrant que le développement technique est impulsé par le capitalisme/productivisme. Sa conception de la révolution n’est donc pas celle de la table rase, de l’accélération de l’histoire mais de l’interruption d’une histoire qui conduit à la catastrophe. Benjamin fait même l’éloge des sociétés matriarcales du passé dans laquelle la nature est perçue comme une mère généreuse (nous voisinons ici avec ce que pourrait chercher à exprimer un « pachamamisme à la française »).  Ces autres gauches ont toujours été minoritaires, ridiculisées, condamnées au point qu’elles étaient devenues complètement pessimistes à l’image du courant philosophique marxiste hétérodoxe de l’Ecole de Francfort… Le vrai enjeu n’est donc pas selon moi d’opposer un Marx écolo et un Marx productiviste, puisque Marx est les deux à la fois, mais de comprendre pourquoi les gauches ont toujours choisi majoritairement de prendre le mauvais chemin, celui du productivisme, celui de l’économisme (cette idée que « plus » serait toujours égal à « mieux »). Je n’ignore pas qu’on lutte toujours dans le cadre du système et que la lutte pour un meilleur partage de la valeur ajoutée était le cadre offert par le capitalisme, mais justement les textes de Marx, d’Engels n’ont pas manqué pour dénoncer cette conception de la lutte des classes, pour opposer ce que serait le véritable mouvement réel d’émancipation qui conduit au communisme et le « trade-unionisme » (On peut relire sur ce point Karl Marx, Friedrich Engels, le syndicalisme, tomes 1 et 2, PCM, 1978)… La grande défaite historique des gauches antiproductivistes s’est faite en deux temps. Ce fut d’abord la victoire de la social-démocratie allemande dénoncée vertement par Marx dans sa critique du programme de Gotha, victoire qui fut celle à  la fois de l’étatisme (socialisme étatiste) et de l’économisme (trade-unionisme). Cette victoire du productivisme de gauche tient donc d’abord au positivisme social-démocrate dont la caricature fut Joseph Dietzgen (1828-1888) avec son culte de la technique, avec son mépris de la nature offerte gratuitement à l’humanité (Dietzgen était un ami de Marx qui en fit l’éloge dans son livre Le Capital). On pourrait citer a contrario la thèse de Lankester, autre ami de Marx, qui explique que l’évolution n’est pas nécessairement un progrès mais une dégénérescence, avec une extinction des espèces du fait de l’homme, avec la pollution. Son disciple Tansley sera l’écologiste le plus important de Grande Bretagne au 19e siècle, inventeur du concept d’écosystème, président fondateur de la société britannique d’écologie, socialiste fabianiste… Ses travaux permettront au biologiste marxiste britannique Lancelot Hogben de s’opposer au nom de la notion d’écosystème à la conception holistique du général Jan Smuts en 1926 au moment de la mise en place du régime d’Apartheid en Afrique du Sud.

Ce fut ensuite la victoire du stalinisme, c'est-à-dire la fin des expérimentations socialistes/communistes que l’on peut dater de 1923 au regard de la convergence de tant de travaux vers cette date fatidique (Reich dans le domaine de la sexualité, Kollontaï dans le domaine du féminisme, Bettelheim dans le domaine de l’économie, Pannekoek dans le domaine de la politique/démocratie, Anatole Kopp dans le domaine des expérimentations urbaines, architecturales, artistiques, des modes de vie, John Ballamy Foster dans le domaine de l’écologie et de l’antiproductivisme, etc.). J’ai pu écrire que la gauche productiviste c’est d’abord la gauche stalinienne (in La vie est à nous ! /le sarkophage de janvier 2012) en raison de la victoire de la bureaucratie rouge sur le peuple, en raison de la contre-révolution stalinienne. Je suis convaincu qu’au fondement du productivisme de gauche il  y a la question du pouvoir, il y a la question de la bureaucratie… C’est par peur du peuple et des militants que l’URSS est devenue productiviste, c’est a contrario parce qu’ils ont compris « nativement » que le grand problème de la révolution ce n’est pas la conquête du pouvoir central, ni même son partage, mais d’apprendre à s’en défaire que les milieux libertaires seront historiquement les seuls à résister à la vérole productiviste. La gauche est malade du productivisme parce qu’elle est d’abord malade du pouvoir, du centralisme. L’URSS préstalinienne était au cœur des recherches pionnières sur l’écologie comme l’atteste l’invention en 1925 du concept de Biosphère introduit par Vladimir Vernadsky (1863-1945), le père de la science soviétique, comme l’atteste aussi son écologie des salaires (réduction des inégalités), sa suppression tendancielle de la monnaie (avec un revenu en nature), ses expérimentations en matière de logement, de modes de vie, etc. John Bellamy Foster a donc raison de dire que la relation d’antagonisme entre le capitalisme et l’environnement, qui est au cœur de la crise actuelle, était paradoxalement plus évidente qu’elle ne l’est aujourd’hui pour la majorité des penseurs écologistes » (page 11). J’ajoute même pour ceux de la gauche dominante.

Les gauches antiproductivistes n’ont cependant jamais cessé d’exister : d’abord aux Etats-Unis avec toute une tradition écologique de gauche riche d’auteurs comme Rachel Carson (Le printemps silencieux, 1962) et Barry Commoner, ensuite en Europe de L’Est avec des marxistes en quête d’un socialisme sans croissance. Rudolf Bahro est certes le plus connu avec son ouvrage L’Alternative mais il témoigne de tout un courant en URSS, en Allemagne de l’Est, etc. John Bellamy Foster parle de « trou noir » avec/après le stalinisme : « le stalinisme purgera littéralement le commandement et la communauté scientifique soviétique de ses éléments les plus écologiques –ce qui n’avait rien d’arbitraire, puisque c’est dans ces cercles que se trouvait une part de la résistance à l’accumulation primitive socialiste » (page 25). Boukharine et Vavilov seraient les deux symboles de cette défaite de la pensée antiproductiviste soviétique. Bellamy note que le marxisme de l’Ouest ne résistera pas mieux en devenant un positivisme concevant une histoire humaine isolée de la nature. La seule exception majeure serait le marxisme britannique et notamment Caudwell.

Les gauches au 20e siècle sont donc devenues celle de la plus grosse louche, par opposition à ce qu’aurait pu être une gauche anticapitaliste, antiproductiviste. Cette gauche a su profiter de rapports de force plus favorables (1936, la libération) pour imposer des réformes essentielles mais elle n’a pas su faire, par exemple, de la sécurité sociale un principe voué à se généraliser…. Cette gauche là s’est trop économisée au 20e siècle au double sens du terme : en accordant une trop grande place à l’économie et aux économistes et en refusant toute expérimentation, ce qui la conduira à casser volontairement   le syndicalisme à bases multiples, le mouvement coopératif, le socialisme municipal, censés détourner de la conquête du pouvoir central.   

Je fais le pari d’un renouveau possible d’une gauche antiproductiviste, enfin optimiste. Cette nouvelle gauche n’est certes plus celle de la plus grosse louche mais elle n’est pas davantage celle de la plus petite louche à l’instar de la décroissance de droite, elle est celle de l’invention de nouveaux modes de vie. Cette gauche antiproductiviste du bien vivre reste encore bien fragile. La gauche n’est pas encore majoritairement guérie du productivisme, comme l’attestent le soutien de la CGT aux gaz de schistes ou celui du PCF au nucléaire. Il ne s’agit pourtant pas d’opposer une bonne gauche à une mauvaise gauche dans la mesure où toute la gauche (et probablement la majorité de ses acteurs) est traversée par ce conflit productivisme/ antiproductivisme, passions tristes/passions joyeuses, centralisme politique ou créativité populaire. J’ajouterai qu’il y a souvent plus de différences au sein d’un même parti qu’entre deux militants membres de deux organisations différentes… On ne saurait cacher cependant que le dosage est différent entre les mouvements . Un petit pas a été accompli ces dernières années par toute une partie des gauches, mais la meilleure façon d’avancer vers un éco-socialisme qui ne serait pas que de nom, c’est d’inventer ce que pourrait être un « Buen vivir » à la française, bref de basculer du côté positif de la critique, de reconnaître la primauté des mouvements sociaux dans la révolution (ce qui ne signifie nullement opposer un éco-socialisme par en bas à un socialisme productiviste par en haut). Cette foi dans la naissance d’une nouvelle gauche antiproductiviste enfin optimiste, dans une Objection de croissance amoureuse du Bien vivre est fondée sur une bonne nouvelle : la planète est déjà bien assez riche pour permettre à plus de sept milliards d’humains d’accéder, dès maintenant, au Bien vivre. L’ONU estime qu’il suffirait de mobiliser durant 25 ans 40 milliards de dollars par an pour régler le problème de la faim dans le monde. L’Onu ajoute qu’il suffirait de mobiliser moins de 100 milliards de dollars pendant 25 ans pour régler le problème de la pauvreté dans le monde… Ces 40 ou ces 100 milliards sont bien sûr introuvables mais le budget militaire mondial est de 1400 milliards de dollars, le budget publicitaire de 900 milliards de dollars, le PIC (produit international criminel) de 1000 milliards de dollars soit 10 à 15 % du PIB mondial… à comparer au même pas 1 % donné pour l’aide au développement. Ces 70 milliards de dollars représentent 0,2 % du PIB mondial, soit l’équivalent d’une seule journée de travail à l’échelle mondiale…  On le voit, ce n’est pas un problème de croissance, ce n’est pas un problème de moyens. Cette bonne nouvelle est la condition matérielle nécessaire pour passer des passions tristes aux passions joyeuses mais elle ne suffit pas en elle-même. Il faut en finir à gauche avec toute idée de sacrifice, avec toute idée d’ascèse, de restriction, de punition, etc. Nous devons laisser cela à la droite, à la gauche productiviste et à la décroissance bigote. Qui dit sacrifice dit en effet nécessairement appareil (idéologique et répressif) pour gérer ce sacrifice. L’église a promis le paradis céleste mais on a connu l’Inquisition, le fondamentalisme, l’intégrisme et même aujourd’hui la décroissance bigote. Le stalinisme a promis le paradis terrestre pour après-demain matin mais on a connu les générations sacrifiées, le goulag, le capitalisme d’Etat. Je ne crois plus aux lendemains qui chantent car je veux chanter au présent. Je veux chanter au présent car comme le disait Gilles Deleuze seul le désir est révolutionnaire, le grand désir de vie face au capitalisme mortifère… Si le capitalisme est en effet tout ce qui nous tue (OGM et semences stériles en agriculture, casse des cultures populaires, effondrement de la biodiversité) alors l’éco-socialisme, le socialisme gourmand est tout ce qui nous fait vivre. Je l’affirme avec force : l’éco-socialisme ne peut être que celui des passions joyeuses, il ne peut être un nouvel étatisme, une tyrannie des sages. Nous devons saisir aujourd’hui les cadeaux conceptuels/théoriques que nous font les pays appauvris. Je pense à des concepts en construction comme le « Buen vivir » sud-américain, mais aussi à l’anti-extractivisme, au pachamamisme, à la bioconnaissance, etc. Nous vivons l’époque d’un socialisme du buen vivir, d’un socialisme postpétrolier.

 

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