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Paul ARIES - Site Officiel
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4 septembre 2012

Intervention au colloque Assemblée nationale du PG - Droit et écologie dans la campagne de 2012…

 

La question posée est simple : comment utiliser le droit pour faire avancer la cause écologique. Il est important tout d’abord de différencier deux usages possibles du droit. 1) Tout d’abord, le procès civil ou pénal intenté aux fauteurs de dommages écologiques : on assiste depuis trente ans à une multiplication de ce type d’affaires en France et à l’étranger. Ce droit de l’environnement reste d’ailleurs principalement jurisprudentiel et civil. Ces procès ont cependant trois limites : ils reposent souvent sur une inégalité considérable de moyens (notamment en raison des coûts des expertises) entre fauteurs et victimes des dommages ; ensuite le risque écologique est très difficilement prouvable au regard des normes juridiques : comment satisfaire, par exemple, à la règle des trois unités (unité de temps, de lieu, d’action) pour des dommages comme le trou dans la couche d’ozone, l’érosion de la biodiversité, etc ; enfin ce premier type de procès fonctionne largement dans le cadre du droit existant, il part donc de ses présupposés c'est-à-dire de la hiérarchie actuelle des normes juridiques. Exemple : le droit des publicitaires à afficher prime celui des citoyens à être protégés de toute agression. 2) Les procès issus de la désobéissance civile ont pour objectif de faire avancer le droit en retournant l’accusation, il ne s’agit donc pas d’un retour à l’illégalisme du XIXe siècle, mais de l’interpellation de la justice via l’opinion publique grâce à la mobilisation citoyenne. Les actes délictueux sont revendiqués et ne sont donc pas commis dans l’ignorance ou le mépris de la loi, mais au nom justement d’une conception jugée supérieure du droit, c’est-à-dire, le plus souvent au nom d’une autre hiérarchie des normes juridiques et des valeurs morales. C’est ce que j’ai pu argumenter chaque fois que je fus cité comme « témoin », par exemple, lors du procès pour le démontage du McDonalds de Millau ou lors de ceux intentés contre les déboulonneurs anti-pub de Montpellier ou contre les faucheurs volontaires d’OGM. Ces procès sont recherchés afin d’interpeller l’opinion, bref pour organiser un retour au politique. Ils sont donc proches de ceux intentés dans le cadre des « tribunaux d’opinion ». Le premier fut le tribunal Russel de 1966 pour juger des crimes de l’armée américaine au Vietnam. Le plus célèbre est cependant le Tribunal Permanent des peuples, fondé à Bologne en 1979, par le théoricien/sénateur socialiste Lélio Basso. J’ai lancé, en 2012, avec René Balme, le Maire de Grigny (Rhône), au lendemain de la nouvelle catastrophe nucléaire Japonaise, l’idée d’organiser un nouveau tribunal Russel pour juger des crimes du nucléaire civil. Le but est toujours le même : dénoncer sous une forme juridique, et pas seulement moral ou politique, des actes jugés répréhensibles : il s’agit certes de sentences sans effets juridiques immédiats mais dont le but est de mettre le droit en scène au nom d’une certaine efficacité du discours juridique (concepts et mécanismes) entendus comme médiation nécessaire du politique. Ce type de coup peut être parfois mal porté : ainsi lorsque vingt lauréats du prix Nobel intentent, sous l’égide de l’ONU, un procès à l’Humanité pour dégradation de l’environnement…On peut se demander en effet si c’est l’Humanité qui est globalement responsable, ou plus exactement si cette mise en avant d’une responsabilité anthropique indifférenciée ne sert pas à masquer la responsabilité des pays riches, c'est-à-dire in fine du capitalisme productiviste. La Banque mondiale estime que les pays pauvres supporteront 80 % des effets négatifs du réchauffement climatique alors qu’ils ne sont à l’origine que de 24 % des émissions des GES Les émissions de GES des Etats membres du G8 n’ont globalement pas cessé d’augmenter entre 1990 et 2004 (+ 28 % au Canada, + 16 % aux Etats-Unis, + 6,5 % au Japon, - 0,6 % en Europe grâce à une délocalisation des industries les plus émettrices de GES…Seule la Russie a réduit massivement ses émissions (- 32 %) mais en raison de l’effondrement de l’URSS. Les notions et les mécanismes juridiques ne sont jamais neutres politiquement (socialement), c’est pourquoi, il y a une véritable lutte au couteau entre plusieurs conceptions juridiques…Or, les gauches françaises sous-estiment trop les enjeux dans ce domaine et apparaissent en retard par rapport aux propositions de certains pays du Sud en matière notamment de justice écologique. Un premier conflit oppose ceux qui veulent laisser à l’ONU (notamment à sa Commission) la responsabilité de conduire la lutte contre les dérèglements climatiques et ceux qui entendent la confier aux grandes institutions du capitalisme financier international comme le G8 ou le G20. L’ONU, parce qu’elle est une organisation plus démocratique, entend mieux certaines revendications des pays pauvres même si son idéologie reste foncièrement capitaliste. Ainsi dès son traité fondateur, la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), en charge depuis le Sommet de la Terre de Rio de 1992 des négociations sur le climat, admet l’idée d’une « responsabilité commune mais différenciée » c'est-à-dire que reconnaissant la responsabilité historique des pays industrialisés, principaux pollueurs et émetteurs de gaz à effets de serre, elle considère que les efforts en matière de lutte contre le dérèglement climatique doivent reposer principalement sur les pays riches. C’est pourquoi le premier cycle de négociations de la CCNUCC, conclu en 1997 par la signature du protocole de Kyoto, fixait des normes contraignantes pour ces seuls pays et ceci seulement jusqu’en 2012, dans l’espoir que les Etats-Unis et le Canada ratifieraient d’ici là (le protocole de Kyoto ne fut en fait appliqué que depuis 2005 c'est-à-dire lorsque 55 Etats représentant globalement 55 % des émissions mondiales de GES l’ont ratifié). Les négociations post-Kyoto n’ont cependant pas tournées au bénéfice de la CCNUCC. L’échec du sommet de Copenhague (décembre 2009) et le faux-accord de Cancun (décembre 2010) ont permis aux adversaires de l’institution onusienne d’avancer leurs pions. Le Président Sarkozy a ainsi justifié cet échec par la lourdeur des mécanismes onusiens et expliqué ce qu’il considérait être le meilleur système de gouvernance mondiale : « à terme, le système auquel je rêve (…) c’est un système très simple où nous aurions le FMI en charge de la stabilité financière, monétaire et de la lutte contre les déséquilibres, une organisation mondiale de l’environnement en charge de l’application des règles environnementales, une organisation agricole qui ne soit pas divisée en multiples organisations, une organisation mondiale du commerce et un ordre mondial qui se mettra en place par la biais de la question préjudicielle qui organisera les rapports entre ces entités internationales. » (Conférence de presse du 24 janvier 2011). Ce choix de sacrifier les mécanismes collectifs contraignants au bénéfice d’engagements unilatéraux ne constitue pas uniquement un changement procédural mais une modification de paradigme en matière de lutte contre les dérèglements climatiques. C’est l’idée même d’une « responsabilité partagée mais différenciée » qui est ainsi remise en cause. Les pays pauvres, regroupés au sein de G77, l’ont bien compris, c’est pourquoi ils ont dénoncé ce sabotage de l’ONU (sic) tout en rappelant que les grands émetteurs de GES ne seront pas les premiers à subir les conséquences négatives du réchauffement alors que les pays les moins industrialisés, dont les émissions sont marginales, seront les premiers à les subir avec la montée des eaux, la perte de la biodiversité, les sécheresses, la famine, etc. Depuis Copenhague, les Etats-Unis ont choisi d’imposer de façon plus brutale leur vision, en faisant pression sur les Etats pauvres pour qu’ils votent en leur faveur et en sanctionnant ceux qui votent contre (ainsi la Bolivie et l’Equateur ont perdu une part conséquente de leur aide au développement pour avoir conduit à Kyoto le combat contre les positions étasuniennes). Aussi, un nouveau texte très proche de celui refusé à Kyoto a été imposé à Cancun puis officiellement adopté, malgré l’opposition de la Bolivie, c‘est à dire en violation du principe juridique de l’unanimité qui présidait jusqu’alors aux décisions dans ce domaine. Conséquence : chaque Etat est désormais libre de choisir l’année de référence pour calculer ses engagements en matière de réduction de GES, et ceux qui ne retiendraient pas 1990, comme année de référence, échappent au caractère contraignant de leurs engagements. Il ne s’agit cependant pas seulement d’un jeu de dupes ni même de l’adoption du mécanisme des engagements unilatéraux mais d’un véritable changement de l’esprit même de la lutte contre le dérèglement climatique avec la remise en cause du principe de la responsabilité différenciée, c'est-à-dire l’oubli du passé donc du passif des pays riches. Cette solution est inacceptable puisqu’elle efface la responsabilité particulière des pays du Nord. La justice écologique ne peut pas davantage se réduire à la seule notion de justice climatique, car il y a beaucoup d’autres problèmes que celui du seul réchauffement climatique comme l’érosion de la biodiversité, comme la crise de l’accès à l’eau potable et celle de l’alimentation, etc. L’objectif désormais est de rentabiliser les actions dites « propres » en permettant aux firmes d’obtenir des certificats d’émissions négociables (« droits à polluer ») en échange des projets d’investissement « écologiques » réalisés dans des pays pauvres ou émergents (Chine). Ce mécanisme aboutit à privilégier les projets les plus rentables financièrement et participe à la création d’un véritable marché carbone avec ses bulles financières et ses spéculateurs. Il produit aussi des effets négatifs comme on le voit avec le dispositif de lutte contre la déforestation (REDD) qui aboutit à remplacer les forets primaires par des plantations industrielles d’essence à croissance rapide contribuant ainsi à la destruction des écosystèmes. Les acteurs du nucléaire et certains pays comme la France et les Etats-Unis souhaitent d’ailleurs faire reconnaître le nucléaire comme une industrie « propre » donnant droit à des certificats d’émissions ; les fabricants d’OGM font également pression pour faire reconnaître les « semis directs » (sans labour) comme des MDP (mécanismes de développement propre), ce qui ferait officiellement des OGM des instruments de lutte écologiques et spéculatifs.

 

Les gauches françaises ne seront à la hauteur de ces enjeux juridico-politiques que si elles portent à la fois cette critique et si elles participent à l’élaboration de véritables alternatives. Les conditions d’une autre politique ont été développées notamment par les organisations et mouvements sociaux regroupés au sein de la coalition CJN ! (Climate Justice Now ! ). Elles comprennent une série de propositions comme la reconnaissance de la dette climatique via des transferts financiers ou de technologies des pays industrialisés vers les pays du sud ; l’abandon des politiques extractives (pétrole, charbon, gaz, uranium, gaz de schistes) et néo-extractivistes (monoproductions notamment agricoles) ; le rejet des mécanismes de marché au profit de taxes sur les émissions et de mécanismes de soutien à l’agriculture de proximité. « L’Accord des peuples », issu de la Première Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre Mère organisé à Cochabamba en Bolivie, fédère également une série de propositions : l’exigence que l’ensemble des pays membres de la CCNUCC s’engage sur des objectifs de réduction de leurs émissions de GES sur la base naturellement du principe de la « responsabilité commune mais différenciée », la reconnaissance de la dette écologique des pays industrialisés avec la mise en place d’un fonds d’adaptation au profit des pays pauvres et l’accueil et intégration des réfugiés climatiques. « L’Accord des peuples » demande également que soit adoptée une Déclaration universelle des droits de la Terre Mère comme charte additionnelle à celle des Nations-Unies, il recommande la mise en place d’un Tribunal international pour la justice climatique et environnementale, doté de pouvoirs de sanction permettant de juger les Etats et les industries coupables de pollution. Il prône enfin l’organisation d’un référendum mondial sur la question du changement climatique, par le biais duquel les citoyens de la planète seraient invités à se prononcer sur les principales propositions de l’accord de Cochabamba

 

Les gauches françaises pourraient d’ici 2012 faire campagne notamment sur deux thèmes.

1) Celui de la justice écologique (conception plus large que la seule justice climatique). Cette éco-justice doit être entendue de deux façons. Tout d’abord elle concerne les relations Nord/Sud avec la reconnaissance de notre dette écologique envers les pays les plus pauvres. Ensuite elle concerne les relations entre les riches et les pauvres de chacun de ces pays. Il s’agit donc avec la justice climatique de prôner une option préférentielle pour les pauvres qui renoue d’ailleurs avec l’histoire même de cette notion apparue initialement aux Etats-Unis, au milieu des années 1980 dans le cadre de la lutte contre les inégalités sociales/raciales. La notion de justice écologique est le résultat de nombreuses études réalisées afin d’établir un lien entre la composition éthno-raciale des populations et la proximité des sites dangereux : un rapport de 1987 précise que les trois cinquième des noirs et des hispaniques vivent dans des communautés où se trouvent des sites de déchets non surveillées ; un second rapport de 1992 établit si la couleur de la peau est effectivement le meilleur indicateur de localisations des déchets toxiques, elle explique aussi les différences de traitements mis en œuvre : la pollution dans les quartiers pauvres est toujours considérée comme moins grave ; les sanctions prises sont plus rares et plus faibles et les actions entreprises pour nettoyer les sites moins fortes. Cette notion de justice écologique est donc essentielle en France aussi pour montrer le caractère de classe de l’origine des dommages et de leurs conséquences mais aussi pour inventer des alternatives qui ne pénalisent pas les plus pauvres au nom de l’écologie. Je rêve d’une campagne électorale où l’on ferait l’inventaire des inégalités sociales en matière de qualité de vie, face à la localisation des déchets toxiques et des industries dangereuses. Je rêve d’une campagne qui ne se bornerait pas à dénoncer cette situation immorale mais qui avancerait des mesures concrètes comme la gratuité du bon usage pour réparer ces préjudices de classe.

2) Celui de non-extraction. L’un de ses emblèmes de ce combat est le projet équatorien ITT/Yasuni c'est-à-dire le renoncement à exploiter 850 millions de barils (pétrole situé dans un parc naturel), en échange d’une contribution internationale couvrant 50 % de la manne financière qui aurait été possible. La gauche doit s’engager en faveur de ce projet, mais elle doit aussi affirmer que cette politique de non-extraction nous concerne aussi, puisque la meilleure façon d’être fidèle au projet Yasuni c’est de faire mille projets Yasuni, c'est-à-dire de laisser dans notre sous-sol les ressources rares ou dangereuses comme les gaz de schistes. Ce combat anti-extractiviste n’a de sens que si nous affirmons qu’il ne s’agit surtout pas de remplacer le pétrole par une autre énergie afin de continuer à vivre de la même manière. Ce combat est donc inséparable d’un nouveau modèle de société fondé sur le « buen vivir » (le bien vivre), par opposition au « bien être occidental » entendu comme la société capitaliste. Je rêve d’une campagne où l’on apprendrait à conjuguer le « Bien vivre », la « vie bonne », les « jours heureux » avec le principe de non-extraction des ressources les plus dangereuses. Je rêve d’une campagne où le « bien vivre », la « vie bonne », les « jours heureux » viendrait s’opposer à la notion de « juste-adaptation », ce nouveau maître mot gouvernemental qui vise à adapter la planète aux besoins du toujours plus, aux besoins du productivisme, au moment même où le pouvoir fera adopter le premier plan national français d’adaptation.

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